Laurent Drouhin, a la chance d’être né dans une famille de vignerons de qualité et visionnaires. Il s’est expatrié en famille aux Etats-Unis pour y défendre les couleurs de ses vins produits en Bourgogne et dans l’Oregon, terroir américain prometteur.
Votre famille entretient depuis longtemps des relations avec les Etats-Unis ?
Mon grand-père, Maurice Drouhin, était déjà en relation avec les Etats-Unis avant la guerre. Etant le seul à parler anglais, il était agent de liaison au moment de la guerre entre l’armée française et le général MacArthur. Puis, mon père a beaucoup voyagé aux Etats-Unis où nous distribuons nos vins. Il avait identifié différents terroirs potentiels dont l’Oregon car nous avions du mal à nous étendre en Bourgogne. En 1979, Gault Millau a organisé une dégustation de Pinot Noir* à l’aveugle. Le 1er sorti était un Pinot Noir d’Oregon. Il y a eu une 2ème dégustation organisée à Beaune avec le même résultat. Il s’est dit qu’il y avait manifestement un terroir. Un de ses amis lui a indiqué qu’un terrain se vendait et c’est ainsi qu’en 1987, mon père a acheté une propriété dans l’Oregon de 65 hectares plantés en blé. Quelques pionniers faisaient du vin.
* Cépage traditionnel des vins de Bourgogne
Comment êtes-vous arrivé aux Etats-Unis ?
Il fallait gérer le positionnement de la maison aux Etats-Unis. J’ai fait cela de 1999 à 2005 à Paris et puis le nombre d’avions, de décalages horaires ont eu raison de moi…et cela m’intéressait de partir.
Vous vous êtes expatrié avec toute votre famille ?
La réussite d’une expatriation passe par le soutien sans faille de son conjoint. Il a fallu chercher le meilleur endroit pour vivre sachant qu’il était plus simple pour moi de travailler à New York. En arrivant de Beaune, nous ne voulions pas vivre à Manhattan car il faut des moyens très importants et la qualité de vie avec des enfants n’est pas bonne. Nous avons choisi Larchmont dans la région de Westchester à côté de NY.
Pourquoi avoir choisi Larchmont dans la région de Westchester ?
Il y avait une école créée en 1985 par des parents comme nous : la French American School of New York Larchmont qui va de la maternelle à la terminale. L’école accueille 600 élèves dont 60% de Français et 40% d’Américains, ce qui rend l’école intéressante. Les frais de scolarité sont de $16.000 par enfant ce qui est envisageable pour des expatriés de grands groupes… La ville de Larchmont est en bord de mer, à 40 minutes du cœur de Manhattan.
Quel visa avez-vous obtenu ?
Nous avions racheté notre distributeur Dreyfus devenue filiale des vins Drouhin et j’ai pu donc bénéficier d’un visa L1. L’avantage de ce visa, par rapport aux visas H1B, est qu’il n’y a pas de quotas et le conjoint peut travailler.
Que représente aujourd’hui vos activités américaines dans la maison Drouhin ?
C’est 25% du chiffre d’affaires avec une production sur place de 18000 caisses et l’importation de nos vins de Bourgogne.
Comment distribue t-on du vin aux Etats-Unis ?
Pour les vins importés, cela se fait au niveau national avec 1 licence. Dans certains Etats, on peut les vendre directement aux restaurateurs, dans d’autres il faut passer par un distributeur qui a une licence pour l’Etat. Dans certains Etats, il y a un monopole d’Etat comme dans le Maryland, un liquorboard, qui date de la période de la prohibition.
Dans les années 90, plus de 60% du vin étaient distribués via les restaurants mais le vin est maintenant distribué de plus en plus dans les chaînes, chez des cavistes indépendants et des chaînes comme Costco, Whole Food, Wegmann, Sam’s Club.
Il y a 20 ans, les vins de Bourgogne étaient vendus par des grands restaurants, aujourd’hui la distribution est beaucoup plus large.
Quelle est votre analyse du marché du vin aux Etats-Unis ?
C’est un secteur très concurrentiel car il se produit du vin dans tous les Etats américains et dans d’autres pays. En France, les vins étrangers représentent une toute petite partie chez un caviste mais ici ils sont beaucoup plus importants. Il faut se démarquer par un discours, du marketing, la qualité des produits, le travail des hommes…
Comment se portent les vins français aux Etats-Unis ?
A partir de 2003 avec le veto sur les produits français, ils avaient perdu de leur aura. Sur les vins de Bourgogne, cela a représenté une baisse de plus de 30% sur l’année. L’année d’après, c’est redevenu comme avant. Aujourd’hui, les vins français se portent bien mais on souffre du change euro/dollars. Il y a eu aussi la crise des subprimes, l’augmentation du pétrole et une économie américaine qui va moins bien, ce qui a pour conséquence une baisse des dépenses des ménages sur les divertissements et les boissons.
Les producteurs français s’aident-ils entre eux pour être plus performants à l’étranger ?
Il n’y a pas beaucoup d’échanges ni d’aide au sein d’une même région. C’est un peu dommage mais cela peut se comprendre car le marché est ultra-concurrentiel. Les grands vins français ne souffrent pas. C’est pour les appellations régionales qu’il y a beaucoup à faire.
Qu’appréciez-vous chez les Américains ?
Leur énergie, leur enthousiasme pour résoudre les problèmes seuls. En France on compte beaucoup sur l’Etat pour aider et se sortir de tout.
Qu’aimez-vous moins ?
Il y a beaucoup de liberté pour entreprendre mais le sentiment de liberté est un peu contrôlé : on peut bouger des montagnes dans le boulot mais vous voulez prendre votre bateau pour voir le coucher du soleil en éteignant les lumières, vous avez tout de suite la police qui vous arrête. On se sent un peu plus étouffé.
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?
Quelqu’un de célibataire : il a toute la liberté d’action. Une personne mariée doit avoir le soutien de sa famille sans faille.
On peut se dire l’Amérique est à moi mais il ne faut pas hésiter à mettre la main dans le camboui. Il faut avoir envie de réussir, montrer de l’enthousiasme, de l’énergie et on est vite repéré par le patron ou quelqu’un d’autre. Il faut aussi être prêt à faire ses affaires du jour au lendemain pour retrouver un autre job. Dans le domaine de la sommellerie et de la restauration, ceux qui réussissent, c’est ceux qui foncent. Mais le parcours n’est jamais rose…