Bernard Portet est le Président co-fondateur et un des propriétaires de la cave de vins du Clos Du Val située dans la Napa Valley en Californie. Elle réalise plus de 10 millions de $ de chiffre d’affaires avec plus de 75.000 caisses de vins vendues par an (à 80% de vin rouge, surtout du Cabernet Sauvignon) et emploie une cinquantaine de salariés.
Il nous éclaire sur les clés du succès des vins de la Napa Valley et son expérience depuis plus de 30 ans aux Etats-Unis.
Quel a été votre parcours ?
Je sortais de l’agro Montpellier, j’ai fait mon service en tant que coopérant au Maroc et puis j’ai commencé à travailler pour un homme d’affaires américain John Goelet que j’avais rencontré par l’intermédiaire de mon père. Il était très intéressé par le vin et sa famille venait de ce milieu. J’ai commencé comme conseiller. J’ai parcouru la planète pour trouver des terrains viticoles intéressants : Chili, Argentine, Afrique du Sud, Amérique du Nord….etc. Deux-trois pays ont retenu mon attention. J’ai sélectionné Napa Valley en 1971, on a planté en 1972 et après on a vendu les vins…
J’ai été le bras droit de John Goelet dans le domaine viticole depuis 1972. Il m’a donné de plus en plus de responsabilités dès l’âge de 28 ans. Il m’a fait confiance. C’est une suite d’heureux hasards. La confiance a regné jusqu’au bout.
Comment expliquez-vous que, si jeune, vous ayez pu conseiller John Goelet ?
La chimie personnelle et la façon de penser américaine. L’Américain regarde toujours vers l’avenir. Il faut regarder le passé mais cela a moins d’importance.
Pouvez-vous nous donner quelques éléments pour mieux connaître la vallée de Napa?
Napa Valley, située en Californie du Nord, fait un demi-croissant du Sud vers le Nord Ouest de 45 kilomètres de long et 12 kilomètres de large. C’est aujourd’hui une région viticole reconnue mondialement pour la qualité de ses vins. Elle représente, avec 16.000 hectares, 8% de la superficie de la Californie et 4% de sa production de vins. L’espace géographique est très limité et défini. Les terroirs sont variés et d’une grande qualité, ce qui donne des vins de grande qualité.
Vous ne faites pas de ventes en ligne via votre site Internet ?
C’est compliqué et très réglementé. Chaque Etat est responsable de la distribution des vins. Souvent, le producteur vend à un seul grossiste par Etat qui vend aux détaillants puis aux consommateurs. Ce sont les restes de la prohibition. C’est un bon prétexte pour maîtriser le secteur. Chacun y trouve un intérêt financier.
Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis ?
Je suis né dans le vin, j’ai été éduqué dans le vin. J’ai eu le plaisir d’avoir participé au développement de la réputation de qualité des vins de la Napa Valley et l’opportunité de faire quelque chose auquel je croyais beaucoup. C’est une chance.
Où voyez-vous les différences entre Napa Valley et les vignobles français ?
A Napa Valley, il y a une ambiance différente de celle qu’on retrouve en France du moins de ce que l’on y trouvait à l’époque. Nous travaillons vraiment les uns avec les autres. Cela se fait plus aujourd’hui en France avec la nouvelle génération. Ici tout le monde travaille ensemble pour améliorer la qualité et la perception des vins. En France, des individus se lient entre eux mais ici c’est à l’échelle d’une région. Quand vous avez un client qui vient goûter votre vin. S’il ne l’apprécie pas, vous lui demandez quel type de vin lui plairait. En fonction de ses souhaits, vous l’envoyez chez un de vos concurrents. En France, c’est plus rare d’agir ainsi…
Estimez-vous que cette entraide explique le succès des vins de Napa Valley ?
C’est la clé du succès. Cela a permis une formidable amélioration des connaissances et techniques, la promotion ensemble des vins. C’est un vrai travail d’équipe. A Sonoma*, il n’y a pas la même unité qu’ici car vous y avez 3 zones de production bien distinctes.
* Autre vallée californienne de vins
Le développement de Napa Valley a été fulgurant depuis 1972 ?
Quand je suis arrivé, il y avait 25 caves sur 4.000 hectares. Aujourd’hui, il y a 260 caves sur 16.000 hectares.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?
D’un point de vue professionnel, c’est super. Tout le monde est prêt à vous aider. Il faut s’investir à 110% pour le boulot sinon le côté social devient plus important. Là, les différences culturelles sont plus importantes. Dans le vin, la vie professionnelle prime. Si vous n’y pensez pas sans arrêt, vous vous faites dépasser. Quand je suis venu ici pour la première fois, je me suis dit que je ne reviendrais pas. Au petit déjeuner, on vous parle business, au déjeuner, là ça passe mais au dîner aussi, on vous parle business ! L’inconvénient, c’est que vous faites passer votre boulot avant le reste. Je me suis d’ailleurs « réveillé » quand ma dernière fille avait 15 ans. Quand je rentre en France, il me faut du temps pour m’habituer au social. On passe plus de temps pour la famille, les amis.
Le fait d’être français vous a t-il aidé ?
En ce moment, ce n’est pas forcément une qualité. Au début, cela m’a aidé. J’avais une certaine crédibilité dans mon domaine du fait d’être français.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US ?
La gentillesse et la générosité des gens ; aussi l’énormité du pays. Depuis que je suis arrivé, j’ai assisté à un développement très important de la restauration de qualité et des produits de luxe.
Une autre surprise étonnante : quand on change de maison, on change d’amis. On a acheté une maison. Ici, vous changez régulièrement de maison car c’est une façon de faire valoir le capital. On me disait que si je ne changeais pas de maison, je ne valorisais pas mon capital, donc j’ai changé de maison. Nous nous étions faits beaucoup d’amis de voisinnage. Eh bien, quand nous avons changé de maison, nous avons très rapidement perdu de vue tous nos amis !
En France, il y a moins de mobilité. On n’aime pas changer, aussi pour ne pas abandonner ses amis.
Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?
Leur générosité en tout : dans leur accueil, dans le fait qu’ils ne portent pas de jugement, dans les dons financiers qu’ils sont capables de faire. Leur côté positif et d’aller de l’avant. Tout est possible.
Quel est l’envers de la médaille ?
Ce n’est pas politiquement correct de discuter de religion ou de politique. Il est difficile d’échanger des idées, d’avoir un débat. Si on connaît très bien les gens au niveau professionnel, on les connaît très peu sur d’autres plans.
Comment imaginez-vous les Etats-Unis dans 50 ans ?
Ils seront les mêmes mais l’immigration du monde entier est tellement forte, cela va changer la donne. Dans le Sud-Ouest des Etats-Unis, dans 50 ans, la majorité des habitants seront mexicains. Les religions vont changer : le catholicisme va devenir plus important. Je pense qu’il y aura plus de social dans 15-20 ans mais ce ne sera jamais comme en France.