Julien Cantegreil nous livre son regard de juriste avide d’approfondir ses recherches en droit sur les questions terroristes à la Yale Law School. Un témoignage précis et très instructif sur les Etats-Unis, les Américains et leurs universités.
Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis?
Je travaille en tant que chercheur (juriste) sur les questions terroristes. Aller aux Etats-Unis relevait donc de l’évidence : pour étudier des mesures antiterroristes très particulières, participer à certains projets et nouer des contacts, mais aussi parce que la communauté des juristes s’est mobilisée beaucoup plus massivement et d’une façon beaucoup plus efficace qu’en France pour que ces mesures restent le plus possible dans le cadre de l’Etat de droit. Les juristes américains ont beaucoup à nous apprendre ! Il fallait donc y aller. Plus généralement, j’avais déjà passé une année dans une université américaine, Harvard, et une fois cela fait, il est difficile de ne pas vouloir y retourner absolument : les conditions de recherche et l’excellence académique sont sans comparaison. C’est le seul pays où l’on peut travailler à un niveau vraiment international. Enfin il n’y avait pas en France d’institution qui prépare à l’action politique d’une façon aussi pratique et aussi intellectuelle, et offre les réseaux, les compétences et la reconnaissance internationale qu’offre la Yale Law School.
Quel a été votre parcours jusque là et une fois aux Etats-Unis?
J’ai fait mes études à l’Ecole normale supérieure à Paris, puis du cabinet ministériel au Ministère de l’Economie. Après le 11 septembre 2001, j’ai souhaité me concentrer sur plusieurs questions terroristes, en privilégiant l’angle juridique et comparatif. Tout en enseignant à Sciences Po, j’ai donc passé l’an dernier en Allemagne, à l’Institut Max Planck de droit international public, et suis retourné cette année aux Etats-Unis, à la Yale Law School. C’est une année pour m’y diplômer et avancer mes recherches car s’y croisent, d’une façon inégalée, universitaires, décideurs et avocats spécialisés dans ces questions.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US?
Trois choses. Du pays : encore et toujours la faiblesse des services publics, l’individualisme, et les très grands écarts de richesse. Des Américains : le professionnalisme, le goût de la réussite matérielle, la simplicité dans les relations et le mauvais état de santé. Des universités : le rythme de travail et l’attention et les moyens donnés à la recherche, à la fois saisissant et très dynamisant.
Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?
La réelle politesse des gens, la constante stimulation à inventer, l’attachement viscéral à réussir quels que soient les échecs rencontrés, la diversité ethnique. Les paysages sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. J’aime leur littérature.
Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis?
Il est trop pour le dire, mais j’ai déjà appris à faire moins attention à ce que les gens ont fait et plus attention à ce qu’ils souhaitent faire. Autant dire, à perdre un réflexe très français ! Entre la politique au sens parisien du terme et l’absence de politique au sens des relations de marché, je retrouve aux Etats-Unis cette forme inédite d’engagement, qu’ils nomment le «social entrepreneurship» qui mêle altruisme et efficacité, c’est à cela que je m’emploie à reussir.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis?
Les relations informelles de pouvoir, les lignées familiales et les codes sociaux sont très forts aux Etats-Unis, et j’imagine bien ne même pas me rendre compte de tous ceux dans lequel j’évolue. Il est sinon difficile de sortir de relations sociales superficielles pour nouer des relations personnelles durables hors relations de business.
Si vous aviez mieux connu les Etats-Unis avant de partir, auriez-vous fait les choses différemment?
J’y serais parti plus tôt, et j’y aurais fait toutes mes études.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui s’installent?
Bien s’assurer, faire ses examens médicaux. Sinon, avant de m’installer sur la côté Est, j’ai voyagé trois semaines dans une quinzaine d’Etat à l’ouest et au sud du pays. Cela m’a donné un sens du pays qui m’a été plus qu’utile par la suite, et que je recommande vivement ! Les Français que je croise ont souvent le réflexe de parler d’eux, en y ajoutant parfois un peu de superbe. Or ce que l’on a fait en France ne vaut presque rien aux Etats-Unis, et l’arrogance est ici plus qu’ailleurs une faute de goût.
Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains?
Simplicité, politesse, importance de l’apparence, individualisme, religiosité, goût de la réussite matérielle, fierté d’être américain, capacité à redonner…
Quelle est la qualité que vous préferez chez les Américains?
L’attachement aux résultats, à l’effort et à la générosité. La volonté de laisser sa chance. La politesse.
Et qu’est-ce que vous détestez?
Le conformisme ambiant. La religiosité la plus extrême et la plus intransigeante. Le nationalisme le plus étroit. Le manque d’attachement à la beauté et à certaines choses qui font, à mon sens, tout le charme de la vie.
Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans?
C’est justement l’une des spécificités les plus marquantes des Etats-Unis que d’empêcher quiconque de prédire ce qu’ils seront dans cinquante ans. Je ne vois pas néanmoins que l’attachement à l’argent et à la religion cessent d’être cardinaux. Leur évolution dépendra beaucoup de leur économie et de l’équilibre énergétique.
Quelle est votre ville américaine preférée? Pourquoi?
Le rythme, la beauté et la démesure de New York, l’équilibre de Chicago, le changement d’air procuré par San Francisco et Los Angeles : plusieurs villes emportent la palme !
Quel est votre plat américain préferé?
Les poissons et fruits de mer de Nouvelle Angleterre sont délicieux.
Quel est votre loisir préferé?
J’aime bien prendre un verre avec des amis. Sinon, j’aime bien jouer au piano, quand j’en ai un sous la main.
Quelle est votre devise?
O brave new world !
Quel est votre plus grand regret?
On n’est jamais assez généreux de son temps, de sa disponibilité. Sinon le revers d’une certaine curiosité, c’est la dispersion or j’aurais aimé exceller dans un art ou un sport. Comme pianiste par exemple, ou comme écrivain.
Quelle est votre plus grande fierté?
D’avoir su vivre certaines choses avec certaines personnes, mais faut-il en éprouver de la fierté ou de la reconnaissance ? Je suis sinon assez libre.
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US?
Le goût du risque, la diversité, le professionnalisme, le culte du résultat effectif. Le refus de se payer de mots.