François Laugier est avocat d’affaires dans la Silicon Valley au sein du cabinet Ropers, Majeski, Kohn & Bentley (RMKB). Arrivé aux États-Unis pour faire un master en droit international, il y est finalement resté pour devenir associé dans le cabinet de 120 avocats où il a débuté comme stagiaire. Nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur son parcours, le métier d’avocat et ses impressions sur les Etats-Unis.
Qu’est-ce qui vous a mené aux Etats-Unis ?
Après avoir fait l’université de Montpellier, j’ai pratiqué 2 ans en France comme avocat. Dans le cadre de ma formation, j’ai rencontré un avocat français qui s’était installé à San Diego pour faire du droit des brevets. Lui ayant demandé conseil, il m’avait recommandé de faire mes études à l’université de San Diego (University of San Diego – USD). J’ai choisi de m’y spécialiser dans le droit international. Tout étudiant qui choisit cette matière s’imagine passer sa carrière à voler d’une capitale de la finance à une autre dans des jets privés alors que la pratique au quotidien est beaucoup moins sexy que cela. USD organisait des cours d’été à Paris, et je m’y suis inscrit pendant les vacances judiciaires du barreau français. J’ai accumulé de bons résultats pendant ces cours et à la fin des 2 mois, USD m’a proposé des conditions très favorables pour que je vienne finir mon diplôme à San Diego. En particulier, on me faisait grâce de passer le TOEFL (Test of English as a Foreign Language), qui pour une université de la qualité de USD était très élevé. Franchement mon anglais à l’époque était bon pour un Français mais n’aurait pas forcément été suffisant.
Finalement, quand êtes-vous arrivé aux Etats-Unis pour vos études?
C’était en août 87 pour le 1er semestre, c’est-à-dire d’août à Noël. J’ai accumulé pas mal d’unités de valeur et, en été, je pouvais finir mon diplôme de master en droit international, qui est ici un « LLM ». Je ne pensais pas du tout à cette époque vivre aux US.
Comment êtes-vous finalement resté aux US après ces études ?
Au sortir de mon diplôme, mon anglais n’était pas suffisant pour être efficace dans les affaires de la même façon que l’aurait été un de mes collègues anglophones. J’ai donc recherché un stage avec l’extension de mon visa F1. Dans les campus américains, c’est très bien organisé. Il y a des “offices de placement” où les entreprises viennent vous interviewer. J’avais d’abord trouvé un court stage dans un cabinet de « ambulance chasers », des avocats qui se spécialisent dans la représentation de victimes d’accidents et qui ont acquis ce surnom parce qu’ils donnent leurs cartes de visite aux blessés pour lancer des actions en responsabilité civile. Je ne savais pas où je mettais les pieds…C’était le premier stage.
En même temps, j’avais été interviewé par une belle société qui m’avait offert de faire un « call back interview ». La première étape était passée et je devais avoir un prochain contact 1 ou 2 mois après. Finalement, ils m’ont proposé un stage pas rémunéré. Par contre, à la fin de mon stage, le “partner” (associé) pour qui je travaillais m’a dit « si tu veux passer ton barreau en Californie, on a un boulot pour toi ! ». Je n’y avais pas pensé et je me suis dit : pourquoi pas ?
Comment cela se passe pour « passer le barreau » ?
C’est un examen très sélectif surtout à New York car il y a beaucoup de boulot et en Californie car tout le monde veut y habiter. On fait trois mois de classe prépa et après, on attend 6 mois pour avoir les résultats.
Finalement, vous avez été embauché ?
Quand j’ai réussi, ils ont tenu parole. Je travaille depuis mars 1990 avec le cabinet. Au 1er janvier 1996, je suis devenu associé, et depuis mars 2005, suis élu parmi les 6 administrateurs de ce cabinet de 120 avocats, 300 personnes.
Devenir associé, ce n’est pas chose facile. Comment expliquez-vous votre réussite ?
Il faut se lever tôt le matin ! Le métier d’avocat est un peu ingrat, on vend notre temps de réflexion. Il faut être prêt à y dédier une partie de sa vie. Comme je le dis souvent à mes collaborateurs : « Vous allez passer ici bien plus d’heures que vous ne passerez avec votre famille, et accumuler beaucoup de stress. Si vous n’aimez pas ce que vous faites, je n’arriverai jamais à vous payer assez pour rendre votre vie agréable ».
Votre emploi du temps au quotidien ?
Je me lève à 6h00 ou 6h15. Je pars au bureau pour 7h00 ou je vais à la gym et j’y suis à 8h00. Je fais beaucoup de sport. L’esprit sain dans un corps sain, c’est ce qui marche. Le soir, on travaille mais pas aussi tard qu’en France. Je pars vers 19H00. La vie dans la Silicon Valley, c’est pas très tard. Les gens dînent à 18h00 ou 19h00/19h30 au max.
Qu’est-ce qui vous a surpris aux US ?
On me disait que les Américains sont superficiels, et j’ai compris en vivant ici que c’est en fait la perception que l’on se fait d’eux qui est superficielle. C’est vrai, il arrivera souvent que quelqu’un que vous ne connaissez pas va vous demande comment vous allez sans en avoir rien à faire. Si vous leur répondez que vous allez très mal, ils en resteront bouche bée ! Mais si j’ai le choix entre une caissière avec un grand sourire me demandant si j’ai besoin d’aide pour porter mes courses, et une en France qui fait la gueule en me jetant deux sacs et me disant de me dépêcher, je préfère la première. Projeter dans le monde ce qu’on a envie de voir, au bout du compte, cela améliore l’état d’esprit du groupe.
Qu’est-ce qui vous a plu aux Etats-Unis?
La reconnaissance de la valeur ajoutée. Si vous amenez votre pierre à l’édifice, vous êtes accepté. Ils reconnaissent le mérite et le récompensent. Votre origine a autant d’importance que la couleur de vos chaussettes. Dans le modèle français, il faut souvent pour progresser attendre de longues années, avoir fait les écoles qui vont bien, et venir des bonnes familles. Ici, c’est rafraîchissant. Il y a un ascenseur social qui fonctionne.
Qu’est-ce que vous aimez moins ?
Le revers de la médaille des avantages. Lorsqu’une industrie va mal, on vire des centaines et des milliers de gens du jour au lendemain. On favorise le résultat par rapport à d’autres valeurs, et on dirige les entreprises « au trimestre », pas à l’année, et encore moins au quinquennat….
Quelles qualités reconnaissez-vous au monde professionnel américain ?
Toute personne dans un groupe est aidée à franchir les étapes. Tout succès est louable. Un employé quelconque d’une start up qui voit arriver son CEO (PDG) en Ferrari se dit : j’ai de la chance de bosser ici, si je fais bien mon travail, je pourrai aussi m’en payer une. La lutte des classes, c’est pour un autre jour !
Dans votre métier d’avocat, quelles principales caractéristiques rencontrez-vous chez les entreprises européennes qui veulent s’implanter aux US?
Elles viennent souvent sans s’être données les moyens financiers et humains d’un réel succès. A défaut de membre Américain dans l’équipe, les budgets préparés à Paris pour la conquête du marche américain amènent plutôt à la débâcle. Aussi, on voit beaucoup de professeur Nimbus plutôt que des gourous du marketing débarquer ici en direct de France… Souvent l’ingénieur français qui a une idée s’obsède sur la qualité de l’idée et du produit. Parfois il n’y a aucune réflexion sur comment on va vendre le produit même si c’est le meilleur produit. Pourtant l’histoire est bourrée d’exemples de succès pour des produits à la performance moyenne, mais au marketing adroit.
Je vois aussi beaucoup d’entreprises européennes focalisées sur le contrôle de l’actionnariat, du pouvoir de décision et de direction dans l’entreprise. Entre 100% de rien et 1% de Google, vous préférez quoi, vous?
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
C’est difficile pour tout le monde d’être en compétition dans les affaires dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle. C’est un obstacle permanent qui s’efface avec les années.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent partir s’installer aux Etats-Unis?
Il y a deux catégories d’expatriés:
1. Les expatriés “exportés” d’une boîte ou faisant partie du personnel de l’état. En général, ceux-là cherchent moins à s’insérer dans la culture locale.
2. Les pionniers: ceux qui partent de leur propre chef. Souvent, ces jeunes Français arrivent et ne veulent plus entendre parler de leur pays natal, ils font une overdose de l’Amérique. C’est une réaction un peu exagérée, car il y a moyen de gagner du temps en côtoyant des Français et francophones ici, afin d’éviter les erreurs les plus communes..
Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans ?
Quelques soient les mauvaises intentions qu’on prête parfois aux Etats-Unis, je pense que la motivation fondamentale du peuple américain est louable. Les USA feront toujours partie des grands joueurs sur la scène mondiale.
Quelle est votre ville américaine préférée ? Pourquoi ?
Palo Alto où je vis. Je viens d’Avignon qui est un peu comparable. Palo Alto a la mentalité d’une petite ville avec un centre ville comme on les connait en Europe, dense, varié, animé, et dans lequel on rencontre, beaucoup de diversité culturelle et ethnique, tout cela sur une petite surface et près d’une nature superbe.. Je vais courir ou faire du VTT dans les parcs de Stanford avec des coyotes, des cerfs, des serpents…etc.
Quelle est votre devise?
Je crois en l’avenir et dans les hommes. Je pense que ce qui compte, ce sont les gens qui sont dans votre vie. C’est eux qui font la vie. Sans ça, on n’a pas grand chose. Il n’y a pas de réussite professionnelle sans réussite personnelle.
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US ?
Peu de chose si je ne travaillais pas, autres que mes amis ici. La qualité de vie en France est très bonne. Si je devais travailler en France, il me manquerait la mentalité américaine du monde des affaires. Ici, c’est simple, c’est carré. On sait ce qu’on est, on est tous là pour faire avancer le schmilblick. En France, c’est plutôt “j’ai droit à quoi?”, “ça y est j’ai fait mes 35h”.