Dans quel cadre êtes-vous venue pour la première fois aux Etats-Unis ?
Je suis arrivée pour la première fois en 1977. J’ai bénéficié d’un programme de la commission franco-américaine grâce auquel j’étais hébérgée dans une famille. En échange, j’étais assistante dans une école primaire puis secondaire dans le Wisconsin. Ca a été une année extraordinaire. J’ai découvert l’Amérique avec le désir d’y revenir.
Qu’est-ce qui vous a marqué lors de cette première expérience sur l’enseignement aux Etats-Unis ?
Plus les cultures semblent se ressembler, plus elles diffèrent dans les petits détails. Aux Etats-Unis, il y a à la fois un laisser aller par rapport à l’apprentissage du fond et une grande liberté de choix sur les matières créatives. C’est très différent de la rigidité des écoles françaises.
Quelles sont pour vous les conséquences de ces différences dans les systèmes ?
Je pense que cette liberté dans le milieu scolaire permet aux Américains d’oser faire ce qu’ils veulent dans la vie. Je viens d’un milieu non privilégié, j’ai grandi en France dans une cité de banlieue de parents très modestes. On était 2 de ma cité à aller à l’université. Le système de « l’Ancien Régime » se perpétue à travers les générations. Il existe une vraie rigidité entre les classes sociales. C’est par exemple très difficile en France, venant d’un milieu comme le mien, d’accèder aux professions artistiques. Aux Etats-Unis, j’ai découvert qu’avec de l’audace, il y a de grandes possibilités.
Pensez-vous que l’ascenceur social fonctionne mieux aux Etats-Unis?
C’est une illusion de dire qu’il n’y a pas de classe sociale aux USA. Elles existent mais elles sont plus poreuses. J’enseigne dans une fac privée où le coût de l’enseignement (+ hébérgement) est de $35.000 par an. Pour 75% des étudiants (1.600 étudiants), ils reçoivent 75% d’aides pour payer ces frais d’enseignement via des fonds privés, publics ou semi-publics. Un jeune qui veut faire ses études aux Etats-Unis peut le faire. Il y a notamment une majorité des programmes de doctorat qui sont financés. J’ai ainsi fait mon doctorat en 5 ans en étant financée pendant ces années d’étude.
Après votre première expérience aux Etats-Unis, vous avez souhaité revenir ?
Lors de mon séjour, j’ai rencontré un Américain que j’ai suivi d’abord au Japon puis de nouveau aux USA. J’ai commencé à travailler en free lance à San Francisco dans la traduction. Je suis rentrée en contact avec la directrice du département de français de Stanford. Le lendemain de notre rencontre, elle m’a proposé de donner des cours ! J’ai ensuite décidé de reprendre des études pour obtenir mon doctorat dans le domaine de la littérature.
Vous êtes aujourd’hui professeur d’université, comment s’organise votre travail ?
Je bénéficie d’une grande liberté d’enseigner. Je décide ce que je vais enseigner. Je donne 5 cours par an dans des conditions de travail exceptionnelles. On vient par exemple de me donner un semestre pour apprendre l’arabe en Tunisie. J’ai pris un an de congés payés pour me concentrer sur mes recherches, je finis actuellement un livre sur Haïti. Il existe des moyens extraordinaires pour la recherche, pour l’acquisition de matériel, pour des voyages…etc. Ces moyens proviennent de fondations privées ou de fonds nationaux comme le National Endowment for Humanities, la Fullbright Foundation…etc.
Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?
Ils sont d’une générosité incroyable avec une ouverture sur l’Autre même si c’est parfois superficiel et qu’ils n’ont pas toujours une ouverture sur l’international ; ce qui est à l’origine des malentendus entre la France et les Etats-Unis. Ils disposent d’une assez grande ouverture d’esprit sur les choses de la vie quotidienne.
Vous vivez à l’intérieur des terres, l’opinion locale correspond-elle aux résultats de l’élection présidentielle de G.W. Bush de novembre 2004 ?
Mineappolis et St Paul sont conservateurs d’un point de vue religieux mais progressiste concernant la politique. Il existe un courant, une énorme mobilisation des jeunes avec des courants de pensée extrêmement radicaux et altermondialistes.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?
J’ai eu beaucoup de chance et n’ai pas rencontré de grandes difficultés sauf dans la vie quotidienne. J’ai toujours peur de ne pas savoir comment faire. En France, c’est plus facile car je connais le système. Je suis consciente de toutes les discriminations ici, ce qui parfois repousse la réalisation de l’achat d’une nouvelle voiture par exemple. Je n’ai pas envie que quelqu’un profite de ma naïveté, du fait que je sois étrangère, femme, petite..etc. !!
Le système américain est moins standardisé et très précaire. Tout se passe bien si on est jeune, solvable et en bonne santé ! Il n’y a pas de filet social comme en France.
Vous envisagez de rentrer en France ?
Le jour de ma retraite, j’irai probablement passer quelques mois en France. Je me suis habituée à l’esprit pionnier ici, à la Nature. En France, on monte une montagne et en haut on trouve un village. Ici, c’est la Nature mythique, sauvage. Voir des baleines ou des ours n’a rien d’extraordinaire !
Quelle ville préférez-vous aux US ?
San Francisco. C’est la plus belle ville du monde, américaine et européenne à la fois. Les gens en plus marchent dans la rue ! Il y a une vraie communauté. Quand on est déprimé à Paris, New York ou San Francisco, on l’est moins à SF !
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?
De bien préparer leur voyage et de ne pas hésiter à se lancer avec audace. On a des choses à apporter : notre culture et notre savoir faire.