D’origine californienne, il a passé son enfance et adolescence à Paris. Avec un regard lucide, il nous fait part de son expérience dans les deux pays avec des conseils judicieux pour tous ceux qui se destinent à enseigner aux Etats-Unis.
Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?
J’ai habité à Paris depuis l’âge de 4 ans jusqu’à 13 ans. Je suis Californien d’origine, de Los Angeles. J’ai fini mon lycée là bas, puis je suis allé à Boston pour faire des études d’économie. Ensuite j’ai obtenu un master en écologie.
J’ai décidé de m’installer à San Francisco, car j’aimais bien cette région. Quand j’y suis arrivé, c‘était la période qu’on appelle le dotcom boom, toutes les entreprises travaillant dans l’informatique étaient en pleine expansion. J’ai travaillé pendant trois ans dans l’une de ces entreprises, ensuite ça n’a plus marché. J’ai décidé de faire des études pour devenir professeur.
J’étais toujours fort en maths à l’école, j’ai donc décidé de suivre une préparation pour devenir prof de maths ; comme je parlais français, j’ai également passé les examens pour enseigner cette matière.
Pourquoi avoir choisi d’enseigner le français ?
J’ai enseigné les maths pendant trois ans à Woodside. Par la suite on m’a offert un poste pour enseigner à la fois le français et les maths.
Est-il courant pour un professeur d’enseigner deux matières aux USA ?
Une fois qu’on est prof aux Etats-Unis, cela se voit assez souvent. La combinaison langue/maths est très rare. Une de mes collègues enseignait l’anglais pour les étrangers, et l’école avait besoin de quelqu’un pour les cours d’espagnol. Au lieu de chercher un professeur de l’extérieur, ils l’ont choisie pour le poste. C’est assez typique d’enseigner l’anglais et une langue étrangère, ou bien on voit aussi des professeurs enseigner l’anglais et l’histoire, les sciences et les maths.
Parlez-nous de votre enfance en France. Pourquoi vos parents ont-ils décidé de s’y installer ?
Mon père était homme d’affaire et il avait la possibilité de continuer son travail en France ; Mes parents aimaient aussi beaucoup la France, Paris en particulier, et ils ont décidé que c’était une bonne chose pour leurs enfants d’être élevés dans une culture différente.
Avez-vous eu des difficultés en école primaire ?
J’étais dans une école bilingue, et j‘ai commencé tout de suite avec des classes en français. J’ai pu ainsi parler rapidement en français. Après trois ou quatre ans, tous mes copains étaient français. Les Américains qui arrivaient n’avaient pas le même niveau : ils me voyaient comme un Français.
Etre un américain en France ne m’a pas posé de problème. Je suis arrivé trop tôt pour avoir cette sorte de difficulté.
Vous sentiez vous plus français ou américain lorsque, enfant, vous viviez en France?
Je me souviens que mon frère, ma sœur et moi nous nous disions qu’on serait plus heureux aux Etats-Unis. Nous venions de Los Angeles, où il faisait plus beau. On retournait aux Etats-Unis pour les vacances d’été, évidemment là où on passe les vacances, c’est une vie différente. Mais quand nous sommes retournés aux USA, j’avais des difficultés pour m’adapter à la vie. Par exemple, à 13 ans à Paris on se déplace d’un bout à l’autre de la ville avec le métro et le bus, il y a une vraie liberté. Aux USA, presque partout à quelques exceptions près, il n’y a pas moyen de se déplacer dans les transports publics. Il y a d’autres différences, mais ce dont je me rappelle, c’est un peu l’histoire de « l’herbe est plus verte dans le pré du voisin ».
Qu’est-ce qui vous attire dans la langue française ?
Je trouve que c’est une langue très belle, mais c’est aussi une langue dans laquelle j’ai été élevé. Je suis attiré par les langues différentes, peut-être car j’ai eu cette expérience étant enfant d’être lancé dans une autre langue.
Etes-vous d’accord avec l’idée selon laquelle parler de nombreuses langues permet une plus grande ouverture d’esprit ?
Oui, définitivement. Une nouvelle langue, c’est un « territoire » de pensée complètement différent, la façon dont les gens s’expriment le démontre.
Quelle est la perception générale des Français aux Etats-Unis ? Et la vôtre ?
Dans les classes de français typiquement, on voit une carte de France, une photo de la tour Eiffel… A travers les images que les Américains voient du pays, ils perçoivent un côté un peu snob de la France. Ils voient les choses délicates, des images de lieux touristiques où tout est très beau.
Franchement, l’impression des élèves américains est très influencée par le cinéma. J’ai la sensation que les Américains ne voient pas la diversité de Paris ou de la France.
Quelles sont les qualités ou défauts perçus comme typiquement français aux USA ?
Je répondrais en pensant aux réactions des Américains qui viennent visiter la France. Les Américains qui arrivent à Paris et ne font aucun effort pour parler la langue et se croient chez eux peuvent penser que les Parisiens sont impolis, arrogants, ne veulent pas aider…Mais il y a aussi l’expérience bien différente des Américains qui viennent visiter et qui adorent la France, et qui d’une manière opposée, trouvent que les Français sont très gentils, très polis.
Je peux dire aussi que les Américains sont souvent impressionnés par la manière dont les Français parlent, ils sont bien plus informés en moyenne, ils réfléchissent. Les Américains qui ont des conversations avec des Français sont impressionnés par leur connaissance.
Aux Etats-Unis, on voit un type d’élite composée de personnes qui vont à l’université, qui font bien leur métier, et qui sont une minorité intellectuelle ; et il y a les masses, qui regardent la télévision, ne réfléchissent pas beaucoup à ce qu’on leur montre, et sont prêtes à croire n’importe quoi.
Evidemment, il y a d’autre partie de la vie en France qui les impressionnent : la mode, la nourriture…
Ceux qui ne viennent jamais en France pensent ce qu’on leur dit de penser.
Quelle est la qualité que vous préférez chez les Français ?
Je pense qu’il y a une attitude plus réfléchie en France. Les Français font attention aux détails, que ce soit dans leur vie de tous les jours ou bien dans la façon dont ils se présentent, dont ils choisissent leurs vêtements, leur façon de faire les choses ordinaires. J’ai l’impression que dans la vie quotidienne américaine tout le monde se suit comme des moutons. Je vois en France peut-être un côté réfléchi dans la façon dont on agit tous les jours. On arrive par exemple dans une pâtisserie, les choses ne sont pas faites avec un sens du marketing, qui présente la même chose pour 80 millions de gens : on voit le caractère de la personne dans la façon dont les choses sont faites.
Des choses que vous n’aimez pas du tout en France ou dans l’attitude des Français ?
On se plaint très facilement en France ; On voit ça un peu partout bien sûr, mais en France, on se plaint sans offrir une solution, sans penser à une alternative. Il y a une sorte de cynisme, de pessimisme, qui empêche les gens d’être plus ouverts à une meilleure façon de faire. Je ne dirais pas que les Américains sont mieux, on a un peu ce mythe des grandes possibilités aux USA, mais on voit qu’en France les gens s’expriment avec beaucoup d’ironie.
Pour moi, en tant que professeur il y a le problème du coût de la vie. Le prix est tellement élevé pour vivre en France, que c’est presque insultant pour les élèves pauvres de leur proposer de passer quelques semaines en France pour 3000 dollars. On raconte aussi cette histoire aux Etats-Unis : un professeur parle d’un endroit où ses élèves peuvent aller, quelque chose se passe mal, et il y a toujours une possibilité de procès ! Les professeurs sont même découragés d’informer leurs élèves par rapport aux possibilités de séjours linguistiques. Il y a un côté un peu paranoïaque aux Etats-Unis de ce côté.
La langue française est-elle populaire dans les établissements scolaires américains ?
Dans beaucoup d’écoles aux USA, l’apprentissage d’une langue étrangère est facultatif. On peut finir le lycée et avoir son diplôme sans prendre même une année de langue étrangère. Mais pour entrer dans les universités, il faut avoir étudié deux ou trois années de langues étrangères ; pour l’université de Californie, il faut trois ans.
Les élèves voient aussi que l’anglais est la langue internationale, ce qui n’est pas une bonne chose pour l’apprentissage d’une langue étrangère. Ils se disent : « pas la peine, on parle anglais partout ».
A partir de quel âge un jeune américain peut-il commencer à apprendre le français à l’école ?
Dans certaines écoles, on peut apprendre le français dès le départ, il y en a une école de ce type à San Francisco. Mais à part ça, avec les problèmes de budget, on va dans la direction opposée. On enseignait les langues avant le lycée, mais on élimine plutôt ces classes aujourd’hui.
Ce sont surtout les écoles privées où on enseigne le français avant le lycée, et en Californie on privilégie plutôt l’espagnol. Parfois on peut apprendre le français à partir de l’équivalent de la sixième, mais c’est rare.
L’enseignement du français est devenu moins important. Même près de San Francisco, il y a des écoles qui remplacent l’enseignement du français par celui du chinois. Il y a beaucoup d’école où on enseigne seulement une langue étrangère, l’espagnol. Mais il y a toujours beaucoup d’école qui enseignent le français.
Comment doit s’y prendre un Français pour devenir professeur de français aux Etats-Unis ?
Je pense qu’en général on doit faire une préparation dans une école aux Etats-Unis pour obtenir le certificat nécessaire pour enseigner. Mais pour être professeur aux Etats-Unis, il y a d’un côté la connaissance de la matière, mais qui n’est pas vue comme plus importante que la capacité à faire que les élèves se comportent bien. Je ne pense pas qu’on puisse dire : j’enseigne en France donc je suis qualifié pour enseigner aux USA. La capacité à contrôler les élèves, c’est ça que les administrations veulent voir dans les écoles.
Y a-t-il des conditions particulières à remplir pour obtenir le visa ?
Je pense qu’il faut prouver qu’un Américain ne peut pas faire le même travail. Si un Français a répondu à une annonce quelque part pour un poste, il faut prouver que l’Américain qui s’est présenté était moins qualifié.
Quel est le salaire d’un professeur de français aux Etats-Unis ?
Le salaire dépend beaucoup des écoles, et de l’expérience du professeur. Je ne suis pas certain que l’expérience en France d’un professeur français soit reconnue. Cela dépend aussi du nombre d’années d’études après le bac. Si l’on possède un master, on commence avec un salaire un peu plus haut.
Il y a tellement de choses qui varient : là où j’enseigne, les professeurs gagnent plus, mais la vie coûte aussi plus cher près de San Francisco.
Les écoles publiques payent mieux que les écoles privées aux USA. Beaucoup de professeurs préfèrent les écoles privées pour les avantages qu’elles proposent ; et le comportement des élèves est généralement meilleur dans une école privée.
Quelles sont les difficultés pour un professeur aux Etats-Unis ?
C’est être obligé de plaire à de nombreux intérêts différents, c’est-à-dire l’administration, avec ses différents niveaux : l’administration de l’école même, l’administration au dessus de celle de l’école (l’Etat parfois, ou le district), les parents, les élèves, les collègues, et nos intérêts personnels. Il faut trouver un équilibre, avec toutes ses forces qui nous tirent dans des directions différentes. Je pense que c’est ça, la chose la plus difficile.
Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant devenir professeur de français aux Etats-Unis ?
Un conseil, c’est que la personne devrait, même si ce n’est pas évident, visiter l’endroit avant de décider de travailler dans une école pour un ou deux ans. Il faut que la personne se sente bien, qu’elle voit où elle peut vivre par rapport à l’école et la visiter, si possible pendant que les élèves sont présents.
On voit souvent aux Etats-Unis des professeurs enseignant français et espagnol, surtout en Californie. Si quelqu’un vient de France et parle espagnol, il y a bien plus de possibilités, car il y a plus de demandes pour enseigner l’espagnol. En tant que professeur de français, on n’arrive pas souvent à enseigner cent pour cent du temps. Il y a peut-être deux cours de français, alors qu’il en faut cinq pour travailler à cent pour cent. Ce que beaucoup de professeurs font c’est d’enseigner deux cours de français et deux ou trois cours d’espagnol. C’est difficile de survivre sinon.
Avez-vous d’autres conseils pour devenir professeur de français aux Etats-Unis ?
Je ne veux pas décourager les gens, mais l’immigration est devenue plus difficile qu’il y a quelques années.
Une chose à savoir : si vous voulez enseigner aux usa et que vous avez une offre, prenez en compte le fait que vous pouvez n’enseigner qu’un an. A la fin de l’année, l’école a une quantité de raisons pour dire qu’elle ne pourra pas poursuivre le cours l’année suivante. Je pense aussi qu’en arrivant aux usa, c’est important de pouvoir parler l’anglais.
On peut y aller avec une idée idéaliste, dire : je suis pour la diversité, je vais enseigner dans des quartiers pauvres où les gens méritent un prof qui a la volonté de les aider, mais il faut savoir ce qui pourrait arriver : les élèves peuvent avoir un comportement que l’on n’a pas imaginé, cela dépend aussi de votre expérience en France.
On peut passer d’une école française où des élèves respectent l’école et le professeur, à une école américaine où toute votre énergie est dépensée en essayant de faire écouter les élèves. Il faut faire un peu d’enquête avant. Une idée concrète pour cela : en Californie par exemple, mais c’est valable partout aux USA, on peut voir les classements des écoles : des examens sont administrés dans le pays entier pour les comparer.
Si l’école a un classement très bas, ce n’est pas que les élèves font des efforts mais que pour une raison ou une autre ils n’ont pas la même qualité de vie, c’est vraiment parce que le comportement des élèves ne facilite pas l’enseignement. Pour commencer, il est important d’enseigner dans une école qui n’a pas le niveau le plus bas, pour gagner en confiance.