Daniel Glon, traducteur et interprète indépendant, nous livre une autre vision de l’enseignement aux Etats-Unis loin des universités américaines de prestige.
Quel a été votre parcours ?
Je suis un linguiste, j’ai fait des études en Allemagne et en France notamment à l’école de traduction et d’interprétation de l’ESIT. J’ai travaillé comme interprète pour le gouvernement canadien lors de mon service militaire français en coopération. Je travaillais pour le secrétairat d’Etat du Canada ou l’équivalent du ministère des Affaires étrangères et j’avais un contrat avec la Reine d’Angleterre, souveraine du Canada ! Après le Canada, je suis revenu à la Commission européenne où j’avais commencé ma carrière Je suis rentré en France au bout de quelques années pour travailler à l’Aérospatiale comme responsable de l’interprétation et de la terminologie mais je n’avais pas la vocation aéronautique. Je suis alors devenu interprète et traducteur indépendant.
Comment êtes-vous arrivé aux Etats-Unis ?
En 1996, j’ai été recruté par les jeux olympiques d’Atlanta où j’ai passé 5-6 mois avant les jeux et toute la durée des jeux. Cela m’a donné envie de retourner en Amérique du Nord surtout pour que mes enfants puissent apprendre très tôt l’anglais. Début 98, j’ai trouvé un poste à l’école d’interprétation et de traduction de Monterey en Californie qui est la seule école d’interprétation des Etats-Unis.
Comment avez-vous vécu cette expérience de professeur de traduction et d’interprétation en Californie ?
Je suis resté 2,5 ans à Monterey. J’avais un salaire très faible ($43.000 par an sans paiement de frais) alors que le coût de la vie à Monterey est aussi élevé que sur la Côte d’Azur ! En 2001, il était impossible d’acheter à Monterey une maison avec 3 chambres à moins de 550.000 $ et à ce prix, ce n’étaient que des planches vermoulues ! J’ai commencé à enseigner 7 heures après mon arrivée sur le sol américain. J’avais des bribes de contrat toujours confirmées au dernier moment, mais au moins, je n’étais pas payé à l’heure comme cela se fait de plus en plus aux USA pour les professeurs adjoints.
Quel type de visa aviez-vous ?
Pour mon premier séjour, j’avais un H1B puis ensuite j’ai dû avoir un visa J1 car l’école s’y prenait toujours en retard pour renouveler les contrats.
Au-delà des difficultés matérielles que vous avez rencontrées, quel bilan tirez-vous de l’enseignement dans une école américaine ?
J’étais déçu de l’ambiance de la graduate school où le renouvellement des contrats dépendait du nombre d’élèves effectivement présents à la rentrée. C’est une autre réalité sur l’enseignement aux Etats-Unis que celle qui existe dans des établissements prestigieux comme le MIT où les moyens sont énormes. Mais le plus inacceptable était l’évaluation anonyme des professeurs qu’on demandait aux étudiants de réaliser. Tout était donc bon pour avoir de bonnes évaluations ; c’est ainsi que certains professeurs invitaient les étudiants à une soirée pain, fromages, vins la veille de se faire évaluer… ! J’ai vu des professeurs « se prostituer » auprès des étudiants.
Quel danger voyez-vous dans ces évaluations ?
Les étudiants qui sont mal notés notent aussi mal leurs professeurs. Certains professeurs ont vite fait de tirer les conclusions qui s’imposent, du véritable darwinisme. En 10 ans, la note moyenne donnée aux étudiants de Harvard ou du MIT a augmenté alors que les étudiants ne sont pas meilleurs. On parle désormais de « grade inflation ». On donne beaucoup plus de « A » ce qui dévalorise les diplômes. C’est une fuite en avant des professeurs, à tel point que certaines universités ont décidé de limiter les quotas de notes « A » et « B » par professeur. Ce qui est aussi aberrant comme système !
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Vous avez décidé de partir pour quel autre emploi ?
Après plusieurs recherches, on m’a offert en 2000 le poste de responsable de la traduction des jeux olympiques de Salt Lake City. Avec un salaire double et le coût de la vie dans cette ville représentant le tiers de celui de Monterey, cela faisait un rapport de 1 à 6 ! Puis, j’ai été à nouveau contacté par l’école de Monterey pour assurer des cours. J’ai pu négocier un contrat plus avantageux que le précédent et j’ai ainsi fait la navette pendant 3 ans, 28 semaines par an !
Pourquoi n’êtes vous pas retourné à Monterey ?
Le coût de la vie est très élevé avec des écoles privées qui coûtent 14.000$ par enfant et par an. C’est moins cher de vivre à l’extérieur de Monterey comme à Seaside, une banlieue de Monterey, mais les gangs y sont nombreux et dangereux et je ne tenais pas à faire courir des risques à mes enfants…
Vous êtes aujourd’hui à nouveau sollicité pour les jeux olympiques?
Je travaille sur la traduction du dossier de la ville de New York pour les JO 2012. Je suis maintenant connu dans le domaine. C’est un domaine très difficile parce-que vous touchez à beaucoup de domaines : médical, sécurité, technique, communication, informatique, juridique, fiscalité…etc.
Qu’est ce que vous aimez chez les Américains ?
J’aime leur spontanéité. Les Etats-Unis sont une mosaïque de cultures, pas un monolithe.
Quels conseils donneriez-vous aux expatriés qui s’installent aux Etats-Unis ?
Il n’y a pas d’imagination dans la vie professionnelle américaine, tout est carré. L’Américain a horreur de l’adaptation et l’improvisation. En France, le système D fonctionne finalement assez bien, ou est-ce de la négligence ? On a une fausse image des Etats-Unis, celle de la facilité. Ici, quand on commence un emploi salarié, on a 10 jours de congés payés par an. Les gens qui arrivent ici idéalisent. Une fois aux USA : soit ils s’adaptent, soit ils rejettent tout et s’en vont. Les jeunes doivent venir avec réalisme. Ceux qui partent vivre en Allemagne, par exemple, ne s’attendent pas à un eldorado, c’est factuel ; il faut avoir la même attitude quand on vient aux Etats-Unis.