Claude Budin-Juteau, journaliste et producteur indépendant vit depuis plus de 20 ans aux Etats-Unis. Il nous donne ici son analyse de ce pays, de cette nation de « do-ers » que sont les Etats-Unis.
Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis?
Les Etats-Unis représentaient pour moi un pays où l’on encourage la libre entreprise et où l’optimisme – parfois naïf, mais souvent contagieux – permet de soulever bien des montagnes.
Quel a été votre parcours jusque-là et une fois aux Etats-Unis?
Frustré de ne pouvoir faire de films, faute d’équipement suffisant, à l’école de cinéma de l’Université de Paris VIII où j’étais inscrit, j’ai décroché en 1981 une bourse « Fulbright » pour venir étudier à l’école de cinéma de UCLA où j’ai pu réaliser mon premier film tout de suite en arrivant. Puis j’ai commencé à travailler pour une émission sur le cinéma pour une chaîne câblée française (CinéCinémas) avant de me mettre à mon compte et travailler avec TF1 (le JT de 20 heures) et M6 (Grand Ecran et CinéSix) en presse télévisée et plusieurs journaux français en presse écrite (Le Journal du Dimanche, Le Figaro Magazine, Version Femina, Ciel et Espace, etc…). J’ai aussi commencé à faire des documentaires pour la télévision américaine (Discovery Times) et je compte développer encore plus cette branche d’activité à l’avenir. Marié à une Américaine francophile, nous avons réuni le meilleur des mondes possibles en achetant une maison à Santa Monica, à 10 minutes de la mer, où nous attendons un fils, prévu pour ce mois de mai.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US?
J’ai été surpris de la confiance que vous accordaient les Américains dès le départ. Une confiance qu’il faut savoir honorer très tôt, car on ne vous laisse pas non plus beaucoup de temps. Si vous ne vous êtes pas prouvés rapidement, le flambeau passe tout de suite à d’autres qui attendent… La concurrence est extrême et sans pitié.
Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?
J’apprécie beaucoup un regard « à grande échelle ». Peut-être en raisons des distances de ce pays immense, la plupart des Américains ne sont pas mesquins et, notamment dans le milieu des affaires, ont tendance à vouloir faire bouger les choses rapidement sans s’attacher à de petits détails qui en Europe freineraient l’évolution d’une négociation. On n’hésite pas ici à voyager d’une côte à l’autre (près de 4000 km) pour la journée, ce qui se reflète dans la mentalité des gens : on voit « large », même si certains accuseront les Américains d’avoir une connaissance relative du reste du monde (critiques parfois justifiées).
Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis ?
J’ai réussi à monter ma propre société à force de travail et d’acharnement sans jamais penser que ça ne marcherait pas. La concurrence en cinéma et télévision est redoutable mais les clients avec lesquels je travaille restent fidèles s’ils sont satisfaits pour éviter de perdre du temps à chercher ailleurs (toujours le souci de la rentabilité au moindre coût).
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis?
La plus grande difficulté est de pouvoir s’imposer dans une économie très compétitive où il n’y a pas droit à l’erreur. En tant qu’Européen, il faut aussi savoir faire fi de ses petits conforts en matière de nourriture, de temps libre ou de garanties sociales qui ne font pas du tout partie des priorités aux Etats-Unis. L’Européen travaille pour vivre, l’Américain vit pour travailler, ce qui ne l’empêche tout de même pas de prendre une semaine ou deux de vacances par an…
Si vous aviez mieux connu les Etats-Unis avant de partir, auriez-vous fait les choses différemment?
J’aurai sans doute passer moins de temps à l’université et j’aurai commencé à travailler plus tôt, car l’Américain juge plus sur le savoir-faire que sur les diplômes. C’est une nation de « do-ers » pas de « thinkers ».
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui s’installent?
Celles ou ceux qui veulent s’installer aux Etats-Unis devraient d’abord se renseigner à fond sur le domaine qui les intéressent, parler bien anglais et se fondre le plus rapidement possible dans le « melting pot » américain (qui existe toujours). Les originalités culturelles n’ont pas de mises en affaires et pour celles ou ceux qui ne sont pas habitués aux méthodes de travail américaine, il est bon de se faire conseiller et abandonner certains réflexes typiquement français qui pourraient avoir de mauvaises connotations aux Etats-Unis (surtout quand il s’agit de séduire ou de faire de l’humour, deux domaines qui obéissent à des règles très différentes de part et d’autre de l’Atlantique…). Ceci dit, la société américaine est aussi très éclectique et les influences étrangères sont monnaie courante.
Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains?
Les Américains sont d’abord honnêtes, intègres et fonctionnent au premier niveau. D’où certaines critiques d’étrangers assimilant rapidement « honnêteté » à « stupidité ». Ils sont aussi travailleurs, au point parfois d’oublier qu’on peut apprendre aussi beaucoup en dehors du « travail » proprement dit.
Quelle est la qualité que vous préférez chez les Américains?
La confiance qu’ils vous témoignent « par défaut » avant de changer d’avis très rapidement si vous n’honorez pas cette confiance.
Et qu’est-ce que vous détestez?
Un manque d’ouverture aux sociétés radicalement opposées à l’ « American Way of Life », manque d’ouverture qui s’explique par le fait que la plupart des Américains ont déjà fort à faire en voyageant dans leur pays, aussi vaste qu’un continent (un peu comme si les Européens ne sortaient pas de l’Europe, avec la différence que l’Europe est composée de cultures très différentes). Il faut donc à l’Américain moyen un gros effort pour sortir de ce continent, apprendre une autre langue et accepter que tout le monde ne pense pas comme lui. Mais les choses évoluent rapidement, grâce à l’économie globale et la concurrence notamment des pays asiatiques.
Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans?
Difficile de prévoir ce qui peut se passer dans un monde qui évolue très rapidement, et où les menaces terroristes modifient les tenants et aboutissants sans prévenir. Je pense que les Etats-Unis pourraient perdre leur avance au fur et à mesure que le reste du monde devient de plus compétitif et que l’économie globale va redistribuer les cartes. Mais le reste du monde a encore beaucoup de travail à faire pour rattraper une éthique de travail bien implantée sur le sol américain, même si le concept des loisirs et d’une meilleure qualité de vie commence à poindre aux Etats-Unis et « risque » de gommer ces différences encore plus rapidement.
Quelle est votre ville américaine préférée? Pourquoi?
Los Angeles, parce que j’y vis. Si les Français préfèrent généralement plus New York (plus proche de l’Europe) ou San Francisco (architecture et cadre plus européen), Los Angeles a les avantages d’être une grande agglomération (environ 15 millions d’habitants) en bordure de mer, avec la vitalité et les opportunités d’emplois d’une culture axée sur le Pacifique. C’est aussi une ville « ouverte », aux distances énormes certes, mais qui a l’avantage d’avoir beaucoup d’espace, de la verdure, un climat très ensoleillé et une position géographique hors pair : le Mexique à trois heures au Sud, les montagnes à deux heures de route, le désert et l’océan à proximité. Et l’architecture et la partie « culture » s’améliorent sans cesse en faisant de plus en plus concurrence à New York.
Quel est votre plat américain préféré?
Difficile de parler d’un plat américain typique à Los Angeles, où plus d’une centaine de cultures sont représentées au rayon culinaire. Entre les sushi japonais, les restaurants thaïlandais, français, éthiopiens, mexicains, argentins… on peut manger de tout à Los Angeles. Le T-bone steak est sans doute ce qu’il y a de meilleur en nourriture « traditionnelle ».
Quel est votre loisir préféré ?
Le climat privilégié de la Californie me permet de jouer au tennis trois fois par semaine, le matin de bonne heure avant de travailler, mais je pratique aussi le roller-blade le week-end, l’équitation de temps en temps et le ski en hiver. J’ai aussi commencé à piloter de petits avions car j’habite à deux pas de l’aéroport de Santa Monica.
Quelle est votre devise?
“Carpe diem, carpe horam” (« cueille le jour, cueille l’heure ») : la Californie étant toujours à la merci d’un gigantesque tremblement de terre qui pourrait tout anéantir d’une seconde à l’autre, il est important d’être épicurien et de savourer les joies de tous les jours.
Quel est votre plus grand regret?
Je n’ai pas de grand regret, j’ai toujours fait confiance à ma bonne étoile.
Quelle est votre plus grande fierté?
Avoir réussi à m’intégrer dans la société américaine et avoir réussi à y fonctionner sans avoir perdu mes origines européennes que je peux ressortir quand le moment est propice et que l’occasion s’y prête.
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US?
Il me manquerait l’état d’esprit qui encourage sans cesse à essayer de nouvelles choses même si ces entreprises sont vouées à l’échec. Mais c’est en essayant et en se remettant sans cesse en question que l’on évolue.