Après avoir débuté sa carrière dans un grand groupe industriel francais, Marc a crée sa société en France pour s’expatrier ensuite aux USA où de nombreuses portes se sont ouvertes en pleine frénésie des nouvelles technologies. Il nous raconte son parcours.
Quel a été votre parcours avant de partir aux Etats-Unis ?
J’ai une formation classique avec un diplôme d’ingénieur océanologue. J’ai fait math sup, math sp puis l’ENSTA. J’ai toujours beaucoup aimé jouer au Lego comme beaucoup d’ingénieurs. J’ai commencé chez Renault dans le calcul scientifique. J’ai fini responsable du développement des logiciels scientifiques. Cela m’a fait découvrir de nouveaux outils en étant en contact avec des Américains. J’ai vu la différence d’approche entre les Américains et les Français. En France, le créateur de logiciel, c’est la 8ème roue du carosse ; aux Etats-Unis, c’est Dieu sur Terre.
En 1991, j’ai créé ma société Lorienne.
Pourquoi avez-vous créé votre société ?
J’étais trop impatient et j’ai toujours eu envie de créer ma société. J’ai eu l’occasion de le faire car j’avais deux contrats déjà gagnés de création de logiciels. L’idée était de donner accès aux PMEs à des logiciels dont disposent les grandes sociétés. En fait, on s’est rendu compte que cela ne les intéressait pas. On a changé d’orientation pour faire des logiciels cartographiques qu’on a développé avec des cartographes pour leurs besoins. Michelin a ainsi converti toutes ses cartes, auparavant réalisées à la main, grâce à ce logiciel.
Pourquoi êtes-vous parti aux US ?
Je suis parti en 1996 car des amis m’ont fait rencontré Jean Louis Gassé (créateur de Be) qui m’a proposé de développer des logiciels pour Be. J’ai découvert la Californie et je suis tombé amoureux de cette région. Pour mon métier, c’est un des centres du monde. Début 95-96, on commençait à voir une fièvre d’action autour des nouvelles technologies et je me suis dit que je trouverai bien quelque chose à faire. On ne pourrait plus le faire maintenant.
J’ai appelé ma femme en lui disant «là, je crois qu’on va déménager».
Quel visa aviez-vous ?
J’ai obtenu le visa d’investisseur E1.
Vous avez déménagé en Californie avec toute votre famille, comment cela s’est passé ?
Nous sommes arrivés avec ma femme et mes deux enfants. Les enfants sont allés à l’école américaine. Le problème est qu’ils ne parlaient pas anglais. C’est là qu’on a compris ce que signifiait le sens de la communauté. On s’est glissé dans la vie américaine grâce aux enfants.
Qu’entendez vous par le sens de la communauté ?
Des parents nous ont aidé pour apprendre l’anglais à nos enfants. Le principe de subsidiarité joue à plein. Ainsi, il y a eu un accident à un carrefour avec des enfants. Les riverains se sont réunis ensemble pour proposer un nouvel aménagement de la circulation. Cet aménagement a été proposé au conseil municipal (chaque citoyen a le droit de parler 5 minutes à chaque réunion d’un conseil). Le changement a été approuvé ensuite par le conseil municipal.
Quelle est votre expérience de l’école américaine ?
La gestion de l’école est plus locale qu’en France. Le « principal »* est nommé par l’école et non par une autorité extérieure. Il existe un comité des parents qui vote les bonus des enseignants. Comme la vie est très chère dans la Silicon Valley et que nous voulons retenir les bons professeurs, nous leur avons accordé des bonus plus importants.
* proviseur
Quel était votre objectif en arrivant aux US ?
Mon idée, c’était de faire une filiale de Lorienne. Des investisseurs étaient intéressés et on a créé une start up américaine, BeatWare, en 1997 avec des tours de table*.
* présentation de la société à des investisseurs potentiels en vue d’obtenir des capitaux
Combien avez-vous levé de capitaux ?
14 millions de $.
Comment s’est développée votre société ?
On s’est focalisé sur le marché des applications graphiques sur différents supports. Au moment de l’explosion d’Internet, il y avait une escalade des frais marketing. On devait être présent sur de nombreux salons avec des frais élevés en particulier pour faire les stands. Il fallait investir beaucoup pour être vus parmi toute l’offre qui se multipliait. Aujourd’hui, il y a moins de frais car il y a moins de sociétés et de gens qui racontent n’importe quoi…
Comment avez-vous vécu la chute de la bulle spéculative autour des sociétés Internet ?
On a subi le contre-coup de l’internet. Les choses sont aujourd’hui moins positives et l’ambiance n’est pas bonne.
Comment les Etats-Unis vous ont aidé à réaliser votre projet ?
En France, lever de l’argent sans faire de chiffre d’affaires et sans avoir l’engagement financier des fondateurs, ce n’est pas possible or une société sans chiffre d’affaires mais avec un chiffre d’affaires potentiel a un prix.
En 1991, pour Lorienne, bien que nous avions un business plan, nous n’avons jamais eu d’investisseurs ! Maintenant, il existe en France des réseaux d’investisseurs. Des VCs* sont rentrés en France. Aussi quand je suis arrivé aux US, il y avait une révolution en marche, une véritable ruée vers l’or !
* VC : Venture capitalists : investisseurs
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
La langue. Maintenant ça va mieux mais au début c’était difficile. Encore aujourd’hui dans les conference calls, j’ai un peu de mal à me faire comprendre quand je suis fatigué.
J’ai aussi beaucoup perdu en français surtout pour l’écrit.
Au niveau culturel, il y a eu des ajustements à faire. Ici tout est plus centré sur l’individu.
Pouvez-vous nous donner un exemple de cet individualisme américain ?
Quand j’ai embauché le premier salarié de ma société, j’ai pris un contrat standard en changeant quelques petites choses et notamment la clause « employment at will », c’est à dire qui permet de virer quelqu’un dans la ½ heure mais aussi de donner la possibilité au salarié de démissionner en quittant son job dans la ½ heure. J’avais fait cela pour offrir une meilleure protection aux salariés mais tous les candidats m’ont demandé de remettre cette clause car ils ne voulaient pas se sentir prisonniers ! Les gens ici ne souhaitent pas faire toute leur carrière dans une même société, ils veulent changer, déménager. Déjà pendant leurs études, ils sont pensionnaires la première année, ils voyagent beaucoup plus et « coupent le cordon ombilical » plus tôt.
A quoi ressemble la vie dans la baie de San Francisco où vous vivez?
Ce n’est pas les US. Ici vivent les gens parmi les plus riches et les plus formés des Etats-Unis. L’école est de bon niveau.
Les logements sont relativement chers. Pour louer une maison correcte, environ 150m2 avec 3 chambres, il faut compter 2500$/mois en campagne. En revanche le prix des maisons à l’achat est assez délirant : il faut compter entre $750.000 et $1 million. Les cadres moyens, peuvent grâce aux nombreuses incitations fiscales, s’acheter une maison.
Qu’appréciez-vous chez les Américains ?
Leur capacité à faire les fous, à ne pas se prendre au sérieux. Ils sont plus accessibles : quelqu’un de très haut niveau pourra vous donner sa carte de visite où figurent son numéro de téléphone direct et son email. Ils parlent souvent d’argent mais ce n’est pas une barrière. Quelqu’un qui a $100 millions sur son compte en banque pourra faire du jogging avec quelqu’un qui a $100 tout en écoutant ses points de vue.
Et qu’est-ce que vous aimez moins ?
Ils sont énervants à penser qu’ils veulent faire le bien ailleurs. Mais si la France était dans la même situation, on ferait pareil. La France se dit pays de la liberté et de la tolérance mais je peux donner des contre-exemples.
Les Américains sont moins cultivés mais les Français dans certaines choses ne le sont pas non plus.
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?
Quelqu’un envoyé par une grosse société, s’il a des enfants, il faut qu’ils les envoient dans une école française. Pour ceux qui s’installent ou souhaitent se faire embaucher : c’est très difficile actuellement, tout est bloqué et la préférence nationale joue inconsciemment.
Quel est votre plus grand regret ?
La famille restée en France et mon maître car je pratique les arts martiaux.
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US ?
Je ne compte pas revenir en France même si rentrer est toujours agréable et si je suis culturellement français. Si on devait bouger, ce ne serait pas forcément pour la France, pourquoi pas la Nouvelle Zélande ?