C’est l’histoire d’un jeune garçon, passionné de sciences, né à Paris, élevé à Paris et diplômé des plus prestigieuses écoles françaises qui décide d’aller voir ce qui se passe aux Etats-Unis. La combinaison de coïncidences, de chance, de ténacité et selon lui de beaucoup de naïveté l’a conduit à devenir aujourd’hui le directeur du centre de narcolepsie de l’université de Stanford et professeur de psychiatrie dans cette université californienne de grande renommée. Il est devenu l’Oncle d’Amérique (6 frères et sœurs et 21 neveux et nièces…)…Nous l’avons interviewé pour connaître son parcours et sa vision des Etats-Unis.
Quel a été votre parcours académique de scientifique?
J’aimais beaucoup les sciences et la biologie, j’étais un polard mais ce qui m’intéressait le plus, c’était la géologie. Au moment de décider au lycée, mes parents m’ont découragé de faire de la géologie et j’ai décidé de faire médecine. La première année, c’était bien. La deuxième, c’était l’étude de l’anatomie à apprendre entièrement par cœur et ça ne m’a pas plu du tout…J’ai passé le concours de l’Ecole Normale où j’ai fait une maîtrise de biochimie en continuant médecine en parallèle. J’ai eu mon doctorat de pharmacologie. Je travaillais tout le temps, ce qui n’est pas forcèment la meilleure des choses…
Comment avez-vous débuté votre vie professionnelle ?
J’ai été engagé assez vite comme assistant pharmacologie à l’hôpital Necker. J’ai choisi de me spécialiser en psychiatrie puis je suis devenu professeur de pharmacologie à Necker.
Un professeur si jeune, ce n’est pas commun ?
J’était petit professeur, pas grand professeur…
Comment êtes-vous arrivé aux Etats-Unis ?
J’avais mon service militaire à faire et c’est ce qui m’a fait partir aux Etats-Unis. J’avais des amis à Stanford qui ont monté leur compagnie en 1985 (Neuron Data). Ils me parlaient de Stanford avec son climat génial, une université fantastique. J’avais d’autres amis des laboratoires Laffont qui développaient une molécle pour la narcolepsie*. Stanford était le seul centre au monde à part Jouvet à Lyon spécialisé sur la narcolepsie. J’ai convaincu les laboratoires Laffont de les aider à développer cette molécule à l’université de Stanford et j’ai convaincu les militaires de m’envoyer faire un VSN scientifique à Stanford…
J’avais un bon dossier, aucun piston et jusqu’au dernier moment, c’était l’horreur. Jusqu’à ce que les militaires m’appelent dans la salle d’attente, je ne savais pas où j’allais finalement être envoyé.
* Narcolepsie : affections et troubles du sommeil. La narcolepsie est une maladie qui touche 1 Américain sur 2000. C’est une maladie comparable à la sclérose en plaques en termes de cas touchés.
Pourquoi avez-vous décidé de rester aux Etats-Unis ?
Je pensais rester 16 mois et retrouver du travail en revenant en France. Je m’imaginais grimper les échelons doucement pour devenir Universitaire Français. J’ai découvert ici qu’il y avait une colonie de chiens narcoleptiques. Je trouvais ce problème médical très intéressant et clé pour comprendre le sommeil. Je suis devenu fasciné par la maladie car on peut en trouver la cause. En plus à l’époque personne ne travaillait sur le sujet, il n’y avait pas de compétition.
La narcolepsie, c’est grave docteur ?…
C’est un problème au niveau du cerveau. Il y a différentes phases dans la sommeil qui alternent : le sommeil lent et le sommeil paradoxal. Ceux qui sont narcoleptiques s’écroulent plus souvent en sommeil paradoxal et se réveillent la nuit sans pouvoir bouger, comme paralysés. Ils peuvent avoir des accès de sommeil en pleine journée. Il faut une dizaine d’années pour diagnostiquer la maladie. Si on prend les malades assez tôt, on peut les soigner sinon ils ratent leur vie…Socialement, ils s’isolent, sortent du système.
Et la colonie de chiens narcoleptiques ?
C’étaient les seuls animaux au monde atteints de narcolepsie avec des taureaux. Les chiens, c’est plus pratiques à étudier que les taureaux… Même si, quand je me suis lancé, d’éminents professeurs m’ont dit que c’était impossible d’étudier les chiens. Mon objectif était de trouver le gène qui produit la narcolepsie chez les chiens.
Comment avez-vous concrétisé votre souhait de rester aux Etats-Unis ?
J’ai démissionné de l’Administration Française, le corps de l’Ecole normale, vous auriez dû voir la tête des administrateurs…C’était un risque énorme quand j’y repense mais bon je n’avais pas de responsabilité, pas d’enfants.
Le type qui s’occupait de la narcolepsie à Stanford a démissionné. J’ai discuté avec « le big boss du sommeil » pour le convaincre de me donner la direction du projet de recherche pharmacologique et j’ai recherché des fonds. Mon projet a été financé par le gouvernement américain et c’était du miracle quand je relis la proposition que j’avais faite, c’était un peu nul…
En quoi ont consisté vos dix années de recherche ?
J’ai croisé des chiens pour isoler le gène pendant 10 ans. Vous ne vous rendez pas compte comme c’est difficile. Vous n’avez rien jusqu’à ce que vous avez trouvé quelque chose. Chez le chien, c’était particulièrement dur on a dû inventer toutes les méthodes. Ce n’est pas comme chez l’homme ou la souris où beaucoup plus de choses existent.
Le gouvernement américain vous a financé pendant 10 ans sans voir aucun résultat ?
J’avais du financement pour faire d’autres études moins risquées. La recherche sur les chiens me prenait 50-60% de mon temps. Une année, le gouvernement américain a coupé les fonds. J’ai dû virer des gens et trouver des bouts de chandelles pour nourrir les chiens. Je n’avais plus d’argent du tout et je me suis mis à repasser mes diplômes de médecine pour pouvoir pratiquer aux Etats-Unis.
Finalement, l’issue de vos recherches a été un succès ?
Après 10 ans de recherche, j’ai trouvé en 1999 le gène de l’hypocrétine impliqué dans la narcolepsie. Cette découverte est un espoir incroyable pour les patients. En théorie, on pourrait remplacer l’hypocrétine pour soigner les malades de narcolepsie comme c’est le cas pour les diabètes en leur injectant de l’insuline. En pratique, c’est plus compliqué car on doit l’injecter dans le cerveau. On va trouver les traitements dans quelques années, ce n’est qu’une question de temps et de travail. Ce traitement s’appliquera aux narcoleptiques mais peut-être aussi pour aider les personnes qui ont des problèmes de sommeil de manière générale.
Quel est votre rythme de vie ?
Je travaille 12h00 tous les jours et tous les samedis, au moins le matin. Le dimanche matin, je me baigne dans le Pacifique, c’est très froid mais ça fait du bien ! Je voyage beaucoup pour faire des interventions extérieures à des conférences notamment dans le cadre de mes responsabilités au National Institute of Health.
Qu’appréciez-vous chez les Américains ?
Leur attitude générale plutôt positive. Quand vous voulez faire un truc, on vous dit « oui mais » et on vous laisse toujours une chance. Les gens ne sont pas toujours à critiquer. En France, on vous dit « non mais si vous y tenez », allez-y. Je vois avec mes enfants, cela commence tout petit. On les incite à être enthousiastes et positifs, parfois c’est naïf. Si les gens se plantent ici, c’est beaucoup moins grave qu’en France.
Qu’est-ce que vous aimez moins ?
Culturellement, c’est pas ça ici. Je suis né à Paris et ai été élevé à Paris. Paris, c’est la plus belle ville du monde et même San Francisco, c’est petit… Les gens sont plus individualistes ici. Les gens n’ont pas le même humour, on ne rigole pas de la même façon.
On discute ouvertement d’argent mais parfois on ne parle que de ça. On n’a pas de discussions à bâtons rompus, il y a toujours la « political correctness », les écarts de langage ne sont pas possibles or parfois, cela fait du bien de se laisser aller !
Après les attentats du 11 septembre, comment avez-vous perçu la réaction des Américains ?
J’ai été très impréssionné par leur réaction. Il n’y a pas eu de réactions racistes, de xénophobie. C’est un pays incroyablement ouvert. Une personne travaillant à la clinique vient toujours avec le Chadhor. Il y a eu un formidable élan patriotique.
Quel bilan tirez-vous de votre parcours ?
J’ai vraiment de la chance. Je suis content d’aller au boulot le matin pour travailler à ma passion. J’aide les gens. Mais la recherche, c’est pas facile, on ne trouve pas souvent. Heureusement j’ai été naïf, si j’avais su, je ne l’aurais pas fait. Je n’ai jamais regretté. Regretter est une perte de temps. Quand on fait une connerie, et j’en ai faite, il faut l’avaler.
Quel conseil donneriez-vous aux Français qui veulent partir aux Etats-Unis ?
Quand on est jeune, enthousiaste et prêt à bosser, les US c’est mieux.
Envisagez-vous de rentrer en France ?
J’ai essayé de rentrer en France pour remplacer M. Jouvet mais à 10.000 kilomètres, il est difficile de suivre les jeux politiques…Finalement, la chose ne s’est pas faite. Aujourd’hui, ce n’est pas possible de rentrer en France. Je serais moins payé, j’aurais moins d’argent pour mes recherches et une moins bonne qualité de vie. Ca dépendra de mes enfants pour l’avenir.