Christian Monchatre, originaire du Loir et Cher, est aujourd’hui Executive Chef au Jonathan Club, un club privé américain et promeut la cuisine française au sein du Club Culinaire of French Cuisine. Son aventure aux Etats-Unis avait mal débuté pourtant avec une expérience malheureuse d’entrepreneur-restaurateur. Comme quoi, tout est toujours possible, il ne faut pas se décourager.
Pourquoi avez-vous décidé de travailler dans la restauration ?
Je suis né dans ce métier. Mes parents avaient des restaurants dans le Loir et Cher. Depuis tout petit, je suis dans les cuisines, on s’y habitue !
Qu’est-ce qui vous a amené aux Etats-Unis ?
J’ai été le rebelle de la famille. Je suis parti à 18 ans travailler en Italie à Milan puis à Côme et ailleurs en Italie. Tous mes copains de là-bas partaient aux Etats-Unis. J’allais les voir en vacances. Je suis venu en 1993 m’installer à Los Angeles pour travailler avec un ami et obtenir pour son restaurant « La Bruschetta » la reconnaissance du « Five Star Hospitality ».
Vous avez ensuite monté votre propre affaire ?
J’ai ouvert mon restaurant à Encino que j’ai gardé 2 ans. Mon père m’a prêté de l’argent. La 1ère année, nous avons fait un chiffre d’affaires de 1,2 million de $. A la fin de l’histoire, nous avions perdu ½ million de $ même si j’avais moins d’un tiers, c’est un très gros échec…
Comment expliquez-vous cet échec ?
Nous étions 3 partenaries jeunes : 2 Français et un guignol qui s’occupait de la comptabilité. Il n’a jamais voulu vendre sa part et nous nous sommes retirés. Au bout de 6 mois, il a mis le restaurant en faillite ou « bankruptcy ». Pour lui, cela signifie que tout l’argent qu’il va gagner dans les années à venir (9 ans encore), il va devoir en payer un peu aux créanciers.
Je n’ai jamais rien regretté et les gens qui m’ont aidé pendant cette période, m’ont appris beaucoup. Cela a été aussi l’occasion de me rapprocher du cercle des chefs cuisiniers français à Los Angeles.
En termes d’immigration, vous avez pu obtenir les visas nécessaires ?
Je disposais d’un visa business quand j’avais mon restaurant. Lorsque je me suis mariée, ma femme avait une carte verte, ce qui me permettait de travailler mais pas de résider aux Etats-Unis ! J’ai finalement eu ma carte verte. J’ai ensuite demandé la nationalité américaine et je suis aujourd’hui américain en plus de la nationalité française.
Pouvez-vous nous parler du Jonathan Club où vous êtes Executive Chef depuis 1998 ?
C’est un club privé qui compte environ 3500 membres principalement des politiciens et hommes d’affaires. Il a été créé en 1894 et fait partie aujourd’hui des 3 meilleurs clubs privés aux Etats-Unis et 20 meilleurs au monde. J’ai ainsi fait la cuisine pour les présidents Ford et Reagan, le premier secrétaire George Shultz et même le Roi d’Espagne ! Il possède 2 propriétés : une downtown Los Angeles avec un immeuble de 13 étages et une autre à Santa Monica. Pour les membres, c’est une 2ème maison.
Pouvez-vous nous parler du Club Culinaire of French Cuisine dont vous faites aujourd’hui partie et dont vous allez probablement devenir le président?
Je suis effectivement pour l’instant le seul candidat proposé par les chefs pour les élections fin novembre… Il s’agit d’un club pour promouvoir la cuisine française. Il n’y a pas que des Français (par exemple Akira Hirose est japonais mais un très bon chef qui a fait ses études culinaires à Azay-Le-Rideau!) mais ils doivent cuisiner français et promouvoir la bonne bouffe française ! Il y a 150 membres qui sont des chefs, restaurateurs, vendeurs et des amis du club. Nous faisons également du fundraising pour des associations. Nous organisons des évènements comme chaque année le « PicNic des Chefs »*ou les dîners « Chefs A Table Dinners » où les chefs vont dîner à la table de leurs convives. L’année prochaine, ce sera particulier car on va fêter les 25 ans du club.
Pourquoi y’a t-il si peu de femmes dans votre métier alors que les femmes sont de loin celles qui passent le plus de temps à cuisiner dans la vie quotidienne ?
Elles pensent différemment que les hommes. Elles sont aussi talentueuses mais c’est différent de transformer ce talent tous les jours 15 heures par jour et 7 jours par semaine. C’est un travail très dur qui demande beaucoup de temps. Ma femme fait la cuisine à la maison, moi le week-end quand on reçoit des amis.
Les divergences diplomatiques franco-américaines ont-elles eu un impact sur l’image de la cuisine française ?
En tant qu’Américain, je suis plus républicain dans mes pensées mais j’ai du mal à accepter la politique internationale de Bush. Depuis son arrivée, la réputation de la cuisine française se détériore. Il y a 10 ans, la bonne bouffe à Los Angeles, c’était français à part quelques exceptions, cela correspondait à l’élite. Aujourd’hui, cela a disparu et les bons restaurants franchouillards qui servaient de la daube, il y en a très peu. Il faut que la politique change.
Quelles qualités préférez-vous chez les Américains ?
Leur grandeur et leur tenacité. Les Américains ont bon coeur et ils écoutent ce que vous avez à dire.
Et qu’est-ce que vous aimez moins ?
Ils sont manipulables et se laissent faire par les médias. Les Américains travaillent énormement, ils ont peu de vie sociale ou de week-end en famille sous les cerisiers ! Ils ont peu de vacances, maximum 3 semaines par an.
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?
J’ai appris que vous ne devez jamais comparer avec le pays d’où vous venez sinon vous n’aimez pas. C’est de plus en plus difficile de venir à cause des papiers d’immigration. Il faut d’abord venir en stage puis repartir et recommencer 2 ou 3 fois. On accueille des stagiaires de France, si cela se passe bien, on les sponsorise. Il faut être « open-minded »* et vivre avec tout le monde. C’est dur. Si vous venez dans l’idée de travailler 35 heures et faire fortune, vous vous trompez.
*ouvert d’esprit
Quel est votre rythme de travail ?
Avant je travaillais 70 à 80 heures par semaine. Aujourd’hui, c’est plutôt 10 à 12 heures par jour. Je passe du temps avec ma famille, ce qui est très important pour moi.
Qu’est ce qui vous manquerait si vous deviez quitter la Californie ?
Ici, il y a à la fois les palmiers, la montagne, le meilleur climat du monde. L’aisance de vivre me manquerait : ici, c’est facile d’être pauvre et d’être riche.