Philippe Lebrun est responsable d’animation au sein du studio Dreamworks où il a notamment travaillé sur les films Kung Fu Panda, Monster vs Science ou le Prince d’Egypte. Il nous parle de son parcours et de la vie professionnelle dans les studios américains.
Quel est votre métier ?
Je suis « superviseur » d’animation. J’ai une équipe de 4-5 animateurs par film à organiser au sein de la société Dreamworks.
Comment devient-on animateur dans un studio ?
J’aimais le dessin. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’ai découvert l’école des Gobelins lors de journées portes ouvertes et je me suis dit que c’était cela ce que je souhaitais faire. C’est sur concours, la 1ère fois je n’ai pas réussi. Après mes études, je suis parti à Londres travailler dans le studio Amblimation.
Comment êtes vous arrivé aux Etats-Unis ?
Le studio Amblimation, qui appartenait à Steven Spielberg, fermait à Londres et ils m’ont proposé un poste à Los Angeles en 1995. Je suis venu pour 2-3 ans aux Etats-Unis. Depuis, j’ai des contrats de 3 ans renouvelés !
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre métier d’animateur chez Dreamworks ?
Il faut toujours se renouveler. Artistiquement, c’est très spécialisé. On se vend corps et âme. On peut aussi devenir paresseux. Entre chaque production, je m’arrête 2 mois pour voyager. Cette société est ouverte à cela.
Vous n’avez pas de contrat de travail de longue durée ?
Tous les 3 ans, mon contrat est renouvelé. La sécurité de l’emploi n’existe pas. Cela oblige à rester compétitif. La nouvelle génération arrive, s’ils sont meilleurs, ils prendront la place. Il y a néanmoins une certaine fidélité tant qu’on continue à fournir le travail. Le contrat de travail aux Etats-Unis n’est pas un mariage. On change de mentalité. Quand les choses se passent mal, cela peut descendre très vite. Il y a d’autres structures importantes dans l’animation comme Pixar à San Francisco et d’autres studios à New York ou ailleurs aux USA. Quand on a la carte verte, c’est simple mais avec juste un visa, c’est beaucoup plus compliqué.
Quel visa avez-vous eu pour cela ?
A l’époque, c’était un visa O2 et pour les réalisateurs, un visa O1. Les visas O sont les visas pour sportifs ou artistes où vous devez prouver des qualités spéciales. J’ai aujourd’hui la carte verte. Avant 2001, c’était assez simple. Aujourd’hui, ce qu’on demande pour un visa O1, c’est ce que j’ai fait pour la carte verte en constituant un dossier pour montrer des qualités exceptionnelles.
Au sein de Dreamworks, y’a-t-il d’autres non Américains comme vous ?
C’est une société très européenne et très mélangée pour les artistes. Il y a pas mal d’anciens des Gobelins.
Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?
J’aime la vie simple, logique. On se prend en charge. En tant qu’immigré, on ne s’attend pas à autre chose.
Quelle a été votre 1ère impression sur Los Angeles ?
Cela m’a terrifié. J’ai vu ces quadrillages de rue, j’ai trouvé cela horrible. Après on atterrit, c’est mieux. On peut avoir le style de vie que l’on souhaite : la nuit, la nature avec des paysages magnifiques (le désert, la mer, la montagne…).
Qu’aimez-vous moins à Los Angeles ?
Tout le monde est en voiture. C’est pas très beau même si cela s’est beaucoup arrangé !
Dans le monde du travail, comment percevez vous les Américains ?
Leur force est de parier gros sur des projets. Ils voient tout de suite les choses en grand pour ne pas rester en arrière, se laisser dépasser par la technologie. C’est un large pays où l’on peut absorber le coût du film. On ne ressent pas la crise dans la compagnie. L’inconvénient, c’est qu’on se lance très rapidement sur des projets sans attendre d’avoir un script solide. Tout peut bouger jusqu’à la fin. C’est très fatiguant et fait des heures supplémentaires.
Quel est votre rythme de travail ?
Entre 40h et 50h par semaine en moyenne. Sur certaines productions, cela dure 4 ans pour faire un film une fois que l’on a le script.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?
La langue. Au lycée, j’avais pris allemand en 1ère langue, et en 4ème anglais en n’ayant presque pas eu de profs. L’ironie du sort, c’est que mon 1er job était en Angleterre !
Comment avez-vous trouvé votre 1er job en Angleterre ?
Dans mon métier, on envoie son portfolio, on communique avec le dessin. Les ¾ de mon temps, je le passe tout seul sur l’ordinateur, à l’époque, c’était sur ma table à dessin, on a donc moins besoin de parler anglais.
Avez-vous pu nouer des relations amicales avec des Américains ?
C’est très mélangé. En général, les gens que je vois à l’extérieur sont soit des immigrés, soit nés de parents immigrés. J’ai trouvé que vivre en Angleterre était plus exotique qu’ici avec ses traditions ancrées et lointaines même si géographiquement, ils sont plus proches que les Américains.
Pensez-vous rentrer en France ?
Cela devient délicat. Ma fille suit sa scolarité ici. Je ne me battrais pas pour rester ici mais si c’est pour galérer en France…
Quels conseils donneriez-vous à un Français qui cherche à travailler aux Etats-Unis dans un studio d’animation ?
Avoir une bonne formation. Les écoles françaises sont très reconnues comme les Gobelins. Pratiquement tout le monde vient de là. Londres est très dynamique pour l’animation. Pour l’acting, la compétition est énorme. A Los Angeles, il y a beaucoup de gens qui veulent devenir acteurs. Finalement ils font d’autres métiers à côté et le week-end des castings ou des films amateurs pour se faire repérer !