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Nous avons interviewé Jean-Paul Vignon, comédien et chanteur aux Etats-Unis et président de la Hollywood Association of French Actors, pour mieux comprendre les rouages des métiers du show biz pour un non-Américain…

Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis ?

J’ai passé mon enfance à Djibouti. A l’époque, c’était une colonie française mais le franc de Djibouti étant en parité avec le dollar américain, presque tous nos produits étaient américains, en particulier les films qui ont fortement influencé le petit garçon que j’étais. Dès l’âge de 5 ans je voulais voir ces grands espaces des films western !
En France, j’ai fait mes études à Avignon et une année de médecine à Marseille. La médecine ne m’a pas plu, alors je suis monté à Paris où j’ai rencontré le fameux éditeur Raoul Breton et sa femme, qui m’ont donné de bons contacts. Tout est arrivé très vite. J’ai fait deux films en vedette à 20 ans. Mais c’était la guerre d’Algérie et j’ai dû partir à l’armée pour 28 mois. Dans le show business, c’est très long. Quand je suis revenu, on m’avait oublié…

Comment avez-vous rebondi ?

J’ai décroché un contrat pour chanter à bord du paquebot Liberté. C’était son dernier voyage, avant l’arrivée du France, entre la France et New York. Pendant le voyage, j’ai sympathisé avec un couple d’Américains qui m’ont dit qu’ils me présenteraient à des gens pour débuter à NY.

Une fois arrivé à New York, comment avez-vous débuté ?

Ce couple m’a présenté au manager du Blue Angel à NY. C’est là où Charles Trenet passait lorsqu’il chantait à NY et où débuta Barbara Streisand. On est en 1963. J’ai ouvert le show pour un « comedian » encore peu connu qu’était Woody Allen à l’époque… J’ai eu de très bonnes critiques et les « scouts » (ou chercheurs de talents) du « Ed Sullivan Show », qui était le plus gros show de variétés de l’époque, m’ont vu et j’ai pu signer 8 shows.

Comment en êtes-vous arrivé à faire du cinéma ?

Les Beatles sont arrivés et le rock n’roll a pris toute la place. Il n’y avait plus de show de variétés ou de cabarets. C’est alors que j’ai eu la chance d’être engagé dans un film “THE DEVIL’S BRIGADE” avec William Holden. Je suis donc allé à Hollywood et petit à petit je suis devenu plus acteur que chanteur.

Comment vivez-vous de votre métier en tant que Français comédien aux Etats-Unis ?

Il y a beaucoup de rôles secondaires de Français à la télé et dans quelques films. Par exemple, je suis un des acteurs dans le film SHREK.
Aussi, je suis tombé dans une niche : tout ce qui a à faire avec la voix, comme le doublage des films diffusés en version française dans les avions, (ceux diffusés en France sont doublés en France), et le looping ou ADR (Automated Dialogue Replacement) qui consiste à mettre des voix sur les personnages en arrière fond, dans les scènes qui se passent en France. Tout ce travail est fait conformément aux règles du SAG (Screen Actors Guild), l’union/syndicat des acteurs qui nous permet d’avoir une assurance médicale et une retraite ainsi que des « residuals » ou royalties. Au début, ce sont des sommes assez importantes et puis ça diminue. Par exemple, j’avais fait des voix pour deux films en 1969: LE MANS avec Steve MacQueen et TWO MULES FOR SISTER SARAH avec Clint Eastwood & Shirley Maclaine. Depuis 33 ans, je touche toujours 10 à 20$ de royalties par an !

Pourquoi avez-vous créé la Hollywood Association of French Actors – HAFA?

J’ai recommandé beaucoup d’acteurs français à des producteurs pour faire du looping mais je recevais beaucoup d’appels d’acteurs qui se plaignaient d’avoir été mal payés et d’avoir travaillé dans de mauvaises conditions. Avec un petit groupe de comédiens, on a décidé de refuser de travailler pour un salaire en dessous du salaire minimum requis par SAG ($300 la journée). C’était le premier pas vers cette association qui s’est concretisée avec la sortie du film (de Rob Reiner ) « An American President » avec Michael Douglas et Annette Benning.

Comment le film An American President vous a t-il aidé ?!

Au début du film, il y a une scène d’un dîner entre les présidents français et américains. Seulement, on ne comprenait rien à ce que disait le président français, qui parlait français…On s’est alors payé une page de pub dans le “Daily Variety”, la bible quotidienne du cinéma à Hollywood, avec une lettre adressée au metteur en scène Rob Reiner. On lui disait que l’on ne comprenait pas pourquoi le président français ne savait pas parler le français ! On a eu beaucoup de retombées presse dont le LA Times ou la BBC. C’est ainsi qu’après cela, on a fondé l’association. C’était en 1995. Nous sommes aujourd’hui 34 membres. Certains acteurs jouent aussi des rôles de Grecs, d’Italiens…etc.

Comment trouvez-vous que les relations entre Français et Américains ont évolué ces dernières années ?

Quand je suis arrivé dans les années 60, les Américains adoraient les Français et puis petit à petit, beaucoup moins. Depuis une quinzaine d’années, les Américains voient plutôt les Français comme rudes, mal polis, sentant mauvais, arrogants…etc. Ce sont les médias qui entretiennent cela. Il faut changer l’image de la France. Notre association essaye de redorer notre blason !

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

On peut aller au supermarché 24h/24 ! Ils font tout pour faciliter la vie quotidienne. C’est aussi le pays de la liberté, comme en France. Du moins, jusqu’à l’arrivée de Bush, on se sentait très libres !

Et qu’est-ce que vous aimez moins ?

Les lois sont faites pour protéger les criminels ! Il y a des « voleurs » légaux comme les CEO* de Worldcom ou Enron qui nous ont mis dans une crise grave. L’économie va très mal, c’est épouvantable. Je n’ai jamais vu ce pays avec autant de personnes sans travail. J’espère que ça va changer. Si on n’est pas d’accord avec les idées de Bush, ils disent que les Français sont anti-Américains.

*PDG

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?

Ils sont très généreux. Je parle de l’Américain moyen. Ils vous invitent, ils vous écoutent et cherchent toujours à vous aider. Ils pensent qu’ils sont les meilleurs au monde pour tout. Sûrement pas en géographie où ils sont nuls ! Ceux qui voyagent savent où est la France et l’Italie par exemple, mais l’homme de la rue ne sait même pas où se trouve la ville américaine de Denver ! Ils sont amusants parce-qu’ils pensent que leur championnat de Baseball est le championnat du monde, le Worldseries! Mais ils ont une grande qualité : ils veulent toujours essayer de s’améliorer, ils ont un esprit de compétition très élevé.

Quels sont vos projets ?

Je me suis remis à chanter. Il y a des chansons françaises qui sont devenus des hits et les Américains ne savent pas qu’elles étaient au départ des chansons françaises. Comme par exemple « My Way » (« Comme d’habitude »), « It must be him » (« Seul sur son étoile »)…etc. Je travaille à une compilation des chansons françaises devenues des hits américains.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?

Attendez, ne venez pas maintenant car le climat n’est pas propice. Il y a peu de boulot, même dans le show business !