Après sa formation à l’Ecole Normale Supérieure Ulm et près de 30 ans de carrière comme scientifique (professeur en université et directeur scientifique au CNRS) en Algérie et en France, Goery Delacote est devenu directeur général de l’Exploratorium de San Francisco, un musée qui fait référence dans le monde entier pour son interactivité. Le musée reçoit 600.000 visiteurs par an. A sa prise de fonction, il y a dix ans, le musée faisait 6 millions de $ de chiffre d’affaires.
Comment êtes-vous arrivé au poste de Directeur de l’Exploratorium ?
Tout est concours de circonstance. Pour fonder La villette avec Maurice Lévy en 1979, j’ai été visiter les principaux musées aux Etats-Unis. J’ai rencontré à l’époque le fondateur de l’Exploratorium, Frank Oppenheimer. J’ai fait venir Oppenheimer en France. On est devenu amis. Frank Oppenheimer est mort à la tâche en février 1985. Il a été difficile de trouver son remplaçant. Le premier était une personne qui avait les bons diplômes et le côté local mais il avait une mauvaise relation avec le staff* et sa relation avec le board** s’est détériorée. Ils ont décidé de trouver quelqu’un d’autre. Le staff avait le sentiment qu’on était avec F.Oppenheimer sur la même longueur d’ondes. Un chasseur de tête m’a contacté. Ma réponse a d’abord été non. Je leur dis : « Ne recruter surtout pas un Français pour ce poste ! ». Je ne connaissais rien au « Fund Raising » ni à la direction d’un établissement comme l’Exploratorium. Puis finalement, ils se sont dit qu’un Martien ferait le mieux l’affaire et j’ai accepté. J’ai commencé en 1991.
Cela montre une qualité des Américains. Cela ne serait jamais arrivé à la Villette où on ne propose que des fonctionnaires français. Vous imaginez un Américain diriger La Villette ?
* staff : l’équipe
** board : les administrateurs
Qu’est-ce que le « Fund Raising » ?
Ce n’est pas demander du fric, c’est pousser une cause. Premièrement, il faut croire à quelque chose. Deuxièment, il faut savoir écouter les gens et ce qui les fait bouger.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux Etats-Unis ?
Comme scientifique au CNRS*, je me renseignais beaucoup aux Etats-Unis sur ce qui se faisait. C’est un changement de culture complet.
Ici, le conseil d’administration est financièrement responsable. En comparant avec les établissements publics en France, les ministères affectent les budgets et les tutelles sont responsables. Les décisions difficiles ne se prennent pas dans les conseils d’administration français. Ici, les décisions sont très rapides en conseil d’administration.
Autre différence : Ici, tout ce que je fais a un but. Chaque fois que je fais quelque chose ou qu’on me présente quelqu’un, cela a une finalité d’efficacité. C’est le côté positif. Le côté négatif, c’est qu’il est plus difficile de rencontrer des gens. En France, souvent le but de la rencontre, c’est que la rencontre soit bien sympa et c’est tout !
*Goery était, avant d’occuper le poste de Directeur de l’Exploratorium, Directeur scientifique chargé de l’information technique et scientifique du CNRS
Qu’est-ce que vous aimez aux Etats-Unis ?
C’est un pays d’opportunités, on peut bouger très vite. En un an, j’ai pu rencontré les plus grands patrons américains et les politiques.
Il y a une fluidité dans cette société extraordinaire. J’ai été à une vitesse qui me ravit. Après un an ½, j’ai participé à un groupe de travail officiel composé d’une quarantaine de personnes de l’Académie des Sciences pour décider de l’éducation des sciences aux Etats-Unis. Les Américains ont une formidable faculté pour absorber les gens qui peuvent leur être utiles.
C’est un pays étonnant. Un côté perméable. Très multiculturel avec les latinos, les noirs, les asiatiques…etc.
Qu’est-ce qui vous plaît moins chez les Américains ?
Leur naïveté à penser qu’ils sont les meilleurs. Ils s’en convainquent un peu trop facilement.
Vous avez rencontré les politiques de la Maison Blanche ?
J’ai été à 2-3 reprises à la Maison Blanche, invité par les Clinton avec une centaine de personnes, face à face avec Billy et Hillary, forte personnalité. Bush m’a invité mais il fallait faire une donation caritative de $1000, les Clinton ne faisaient pas payer, par principe, je n’y suis pas allé!
Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis ?
Le développement de l’Exploratorium. J’ai commencé avec un chiffre d’affaires de $6 millions, soit la moitié de celui du Palais de la Découverte (à titre de comparaison) pour atteindre aujourd’hui $24 millions, soit le double de celui du Palais…
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?
Elles sont de type professionnel liées à la bureaucratie de la ville de San Francisco. Les choses peuvent durer indéfinimment. Des domaines où les choses vont très vites se côtoient avec d’autres qui sont comme paralysés.
L’Exploratorium occupe les ¾ du Palace of Fine Arts géré par la ville de San Francisco. Nous essayons depuis 10 ans de récupérer le dernier ¼ occupé actuellement par un théâtre poussiéreux. Ils font $500.000 de chiffre d’affaires et nous $24 millions. Tout est bloqué sur ce dossier, on espère y arriver bientôt quand même.
Comment voyez-vous les différences dans les systèmes d’éducation français et américain ?
On a mené une grande bataille pour faire évoluer le système éducatif américain qui n’appelait pas à l’intelligence. Avec l’Exploratorium, on a misé sur l’investigation, la recherche, le travail en équipe. On a insufflé à l’Académie des Sciences de lancer un système d’apprentissage « Inquiry Base ». Aux Etats-Unis, l’enseignement des sciences est lamentable. Ce pays est un paradoxe. Avec d’un côté un concours de lamentabilité et d’anti-intellectualisme, des écoles sans culture scientifique et de l’autre côté un pays technologiquement à la pointe. Les Etats-Unis se sont développés avec l’importation d’élites de l’étranger. La force des USA, c’est qu’ils sont conscients de leurs faiblesses. Le système d’éducation est en train d’évoluer pour offrir un cadre et établir un programme d’apprentissage pour l’ensemble des écoles. Les initiatives locales sont trop nombreuses.
Pour mon pays la France, on a un cadre mais pas assez d’initiative locales. Les deux systèmes éducatifs doivent évoluer en sens inverse.
Quelle est votre ville américaine préférée ? Pourquoi ?
New York pour son énergie. San Francisco est un village. Le mythe fonctionne à plein avant d’y vivre mais une fois qu’on y est, on a vite fait le tour.
Quel est votre loisir préféré ?
Le hiking*. On a silloné tous les USA. On peut sortir de la ville en ¼ d’heure pour être coupé totalement de la civilisation. C’est un pays où on n’arrête pas de se déplacer. Un pays à découvrir avec ses pieds et avec quelque chose sur le dos.
* randonnée pédestre
Quel est votre plus grand regret ?
Je regrette que ma vie soit limitée en nombre d’années.
Aussi, l’incommunicabilité entre les peuples. J’ai eu la chance de vivre dans des cultures très différentes avec des valeurs différentes : la culture américaine, algérienne, française. Ce sont des mondes qui peuvent se parler mais qui n’arrivent pas à se comprendre. C’est ce qui se passe aujourd’hui entre les US et le Moyen-Orient. Il faut créer les conditions pour que les gens se comprennent par des échanges, des emprunts, des rencontres culturelles. C’est du temps humain, pas du temps technologique. Le plus gros effort à faire, c’est de comprendre l’altérité d’une culture.
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?
Je vois beaucoup de couples de Français autour de moi et je constate que c’est très difficile si un des deux ne travaille pas. Pour celui qui travaille, il est séduit. Il travaille comme un fou, ça marche bien. L’autre a beaucoup de mal à s’adapter car le côté détendu, bonne franquette manque.
Quand le couple part, il faut réfléchir à ce que l’autre va faire. C’est une erreur des Américains qui auraient intérêt à libéraliser l’obtention d’un visa de travail pour le conjoint au moins à temps partiel.
Votre prénom Goery doit être facile à prononcer en américain ?
Détrompez-vous. Les Américains ne savent pas le prononcer. C’est un nom qui vient des Vosges. Saint Goery est le fondateur d’Epinal. A la messe, mes parents entendaient ce prénom mais ils m’ont mal doté ! Michel, cela aurait été plus commode…
Ici, on vous rebaptise, on vous donne un autre nom, parfois moi c’est Jerry.
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US ?
Fondamentalement, je suis Français. J’ai une carte verte mais je ne suis pas transformé en Américain. Je suis un « resident alien ». Ici, ça continue à être extraordinaire. On a créé un vrai réseau de petits Exploratoriums à travers le monde dont un au Jardin d’Acclimation à Paris.
A vivre à l’étranger, on devient citoyen du Monde. En tant que Français, je profite du génie de mon pays (historique, culturel, amical…etc.). Je ne suis plus chez moi nulle part. Ayant vécu intensément dans ces pays, je suis un peu condamné à être à cheval. Si je devais rentrer en France, je garderai des contacts étroits avec les US. C’est une dimension qui fait partie de ce que je suis. On devient différent.