Gabrielle Durana, nous présente avec enthousiasme son parcours riche en rebondissements et nous donne son regard en toute lucidité sur les Américains, les avantages et revers du système qui favorise plus les jeunes, diplômés en bonne santé et moins les autres.
Quelle formation avez-vous suivi?
Après le lycée, je voulais me préparer pour une carrière politique. Sciences-po était la voie royale. J’y suis rentrée sans préparation car j’avais eu mon bac avec mention très bien. J’ai été virée au bout d’un an pour résultats insuffisants. Un peu meurtrie. J’ai ensuite été acceptée dans deux facs en économie et en droit et j’ai redécouvert un monde plus normal. A Sciences Po, j’avais découvert un monde nouveau: les ¾ des étudiants venaient du 16ème ou du 92. Le nouveau directeur Descoings de Sciences po a mis le doigt sur un vrai problème!
Après mon DEUG, sur les conseils de mes profs, j’ai fait une classe prépa pour rentrer en 1994 à Normale Sup en droit et économie où j’ai préparé mon agrégation. L’Ecole Normale Supérieure (ENS) encourage les études à l’étranger. Ils m’ont proposé d’aller faire un master à Trinity College en Irlande ce qui m’a permis de devenir bilingue en anglais. Indispensable aujourd’hui. Je suis rentrée en France où j’ai préparé l’ENA mais je n’y suis pas arrivée.
Vous avez travaillé en France dans l’enseignement secondaire et expérimenté l’international ?
Après mes études, j’ai choisi de travailler dans le secondaire (15h de cours par semaine) parce-qu’avec une agrégation, j’y étais mieux payée que dans le supérieur (4h de cours par semaine). J’ai eu la chance de travailler sur un projet novateur: enseigner le droit et l’économie en anglais à une classe à Amiens. Cela a été un choc culturel à nouveau et je me suis rendue compte des différences de niveaux culturels vis-à-vis de l’international. C’était une expérience humainement très intéressante. L’année d’après, un nouvel inspecteur est arrivé et n’avait pas la même vision que le précédent. L’éducation nationale a été frileuse pour renouveler l’expérience car comme disait l’inspecteur de l’époque, “c’est un peu comme donner de la confiture aux cochons!”…
Quel a été votre premier contact avec les Etats-Unis?
J’y ai d’abord été pour les vacances et j’ai rencontré mon futur mari à San Francisco à l’occasion de vacances. Nous avons eu une relation à distance tout d’abord. J’ai tenté une expérience pour le rejoindre mais j’ai fait l’erreur de ne pas préparer ce changement de vie notamment financièrement. Je suis arrivée en décembre 2002, mon mari a perdu son job à ce moment là, donc son appartement et j’ai dû rentrer en France trois mois après… Je suis alors partie à Madrid pour suivre des cours d’histoire de l’art au Prado. Cela m’a donné plus de temps pour mieux préparer mon départ et je suis retournée en avril 2004. Les choses ont été plus simples pour le visa puisque nous nous sommes mariés. J’ai alors pu demander une carte verte.
Vous vendez aujourd’hui des toiles de maîtres dans une galerie d’art à San Francisco, comment en êtes-vous arrivée là?
J’ai envoyé ma candidature à toutes les galeries d’art de San Francisco. Chose qui n’arriverait jamais en France: j’ai reçu le lendemain 4 réponses pour un rendez-vous. En France, je n’aurai jamais reçu quelque chose si rapidement et encore moins dans un milieu que je ne connaissais pas. Une des personnes qui m’a interviewé m’a recommandé dans une autre galerie d’art pour un poste à plein temps que j’ai obtenu. J’ai appris après qu’il avait touché 3% de mes ventes la 1ère année. Le monde capitaliste est très vertueux!
Quels étaient vos atouts pour réussir dans ce milieu?
Mon père était dans la politique et quand j’étais jeune, je faisais également de la politique pour les jeunesses militantes. Dans l’art, c’est très difficile de trouver des gens adaptés. Vous avez besoin de “people skills”*. Mon expérience en politique a été très utile. Vous avez 30 secondes pour convaincre votre électeur de base de voter pour vous et “be memorable”**.
* entregent/capacité d’empathie
** être percutant
Vous avez été promue et êtes aujourd’hui “Homeshow Director”, en quoi cela consiste?
On amène des œuvres d’art chez un collectionneur jusqu’à ce que vous trouviez la bonne place pour les exposer. En racontant une histoire autour des oeuvres. Cela se dit “to romance the art”! J’ai vendu pour 1,1 million de $ en toiles l’année dernière en étant payé $90.000*.
Qu’appréciez-vous chez les Américains?
Ils possèdent un très grand optimisme, beaucoup de dynamisme. Les gens se bougent, ils osent rêver. Ils n’attendent pas que la vie passe sans rien faire. C’est très rafraîchissant. A San Francisco, c’est une ville très cosmopolite où tout le monde a l’esprit d’entreprise et veut monter une boîte, faire des choses. Il y a une relation directe entre votre effort et le niveau de récompense. En France, j’ai des amis qui ont fait de grandes écoles et ils se font exploiter!
Auriez-vous pu faire la même chose en France?
Je suis rentrée dans le milieu de l’art par une porte latérale. Jamais, je n’aurais pu le faire en France. Ici, le drainage des cerveaux fonctionne très bien et le système sait le reconnaître. On vous fait confiance, on vous donne des responsabilités. C’est irrésistible.
Qu’appréciez-vous moins chez les Américains?
Le système est très darwinien. Tout va bien pour moi car je suis jeune, diplômée, je parle 5 langues, je suis en bonne santé. Ce serait le contraire, le système serait moins favorable. Cela peut heurter la sensibilité d’Européens. Je suis un pur produit républicain. Ici, ce n’est pas possible d’envoyer ses enfants dans une école publique. Enfin, 40 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé…
Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent?
1. Avoir au moins $10.000 épargnés*
2. Embaucher un avocat pour résoudre le problème du visa. J’ai compris trop tard qu’il fallait le faire
3. Aller en vacances pendant pas mal de temps là où on veut s’installer.
Interview réalisé en 2006, les chiffres donnés de salaire et d’épargne doivent être corrigés pour prendre en compte cet écart de temps et être vraiment pertinents.