Philippe Monteiro da Rocha a fondé avec deux autres amis le portail Internet PageFrance (site communautaire), revendu au mois de janvier 2000 à Spray/Lycos pour une somme estimée à 50 millions de francs (environ 7 millions de $), soit trois mois avant le krach des valeurs technologiques et le début de la dégringolade des start-ups Internet…Philippe a choisi de partir aux Etats-Unis pour retrouver son fils, nous l’avons interviewé pour mieux connaître son parcours, ses impressions sur les States et les Américains.
Quelles sont les grandes étapes de votre parcours ?
Je suis un journaliste de formation au départ, diplomé de la Sorbonne. J’ai travaillé pendant 8 ans dans un groupe de presse parisien, à Radio Monte-Carlo et M6. J’ai découvert l’Internet en 95 lors d’un séjour à Singapour. J’ai alors decidé de changer radicalement de profession pour profiter de ce medium extraordinaire. A l’époque, la qualité de contenu n’était pas celle qu’elle est aujourd’hui sur le online. Avec mon expérience de journaliste, j’en ai donc tiré profit. En 1997, alors que nous étions basés dans le sud-est asiatique, nous avons monté PageFrance, un site de communauté pour les Francais de l’étranger, avec mes partenaires Fabrice et Christophe Boutain. Le site marchait très bien et nous sommes logiquement rentrés en France pour une levée de fonds en 1999. En janvier 2000, nous avons finalement decidé de vendre notre entreprise à Spray/Lycos, un groupe avec lequel nous sommes restés pendant un an. En février/mars 2000, nous avons monté tous les trois notre nouvelle compagnie, Anxa Limited, une société spécialisée dans les solutions IPE.
Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis?
A l’issue de notre contrat chez Lycos, mes deux comparses Fabrice et Christophe sont repartis vivre en Asie, question de qualité de vie et de coût du personnel. Comme nous avons toujours travaillé online tous les trois, la localisation de nos bureaux n’a pas de réelle importance. J’ai choisi les Etats-unis pour une raison très personnelle : me rapprocher de mon fils Keanu, 6 ans, qui est franco-américain et vit a Miami Beach avec mon ex-femme, américaine elle aussi.
Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US?
En huit ans de journalisme, j’étais venu au moins 20 ou 30 fois aux Etats-Unis donc je n’ai pas été surpris par grand chose. En revanche, la qualité du service propre à la société de consommation américaine et véritable modèle du genre il y a seulement 10 ans a largement décliné, en tout cas en Floride.
Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?
La rapidité des prises de décisions dans le business. Lorsqu’on rencontre un partenaire potentiel avec un projet, c’est soit oui, soit non, mais au moins une réponse est donnée. En France, on discute, on tergiverse et on se revoit plusieurs fois avant de se décider. Ca n’en finit pas… J’aime l’idée de gagner du temps, ou en tout cas l’idée de ne pas en perdre : nous sommes a l’ère numérique après tout.
Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis ?
L’intégration de ma société Anxa Ventures et surtout, les premiers contrats de prestation web que j’ai déniché !!!
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?
Des difficultés d’ordre administratif, avec les visas, etc… J’ai créé une société Internet en Floride en quelques jours. En revanche, ce fut le parcours du combattant pour obtenir un visa de travail étant donné que je suis diplomé en communication et journalisme et non pas en informatique et multimédia. J’ai eu beau expliquer que j’étais intervenant dans des formations multimedia de 3e cycle en France, que j’ai publié deux livres sur le marketing internet et les modèles économiques du online et que j’étais responsable d’un portail d’origine américaine, Lycos, en France, ils m’ont créé de sacrés problèmes.
Si vous aviez mieux connu les Etats-Unis avant de partir, auriez-vous fait les choses différemment?
Sincèrement non.
Quels conseils donneriez-vous aux Francais qui s’installent ?
D’apprendre l’Espagnol s’ils viennent vivre en Floride :-)) Sinon, nos sociétés ne sont pas foncièrement différentes. Moi qui ait vécu a Jakarta pendant trois ans, je puis vous assurer que l’adaptation est autrement plus délicate.
Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?
Je les trouve souvent très “Business oriented” mais ça n’est pas fait pour me déplaire. Ce que j’adore en revanche, c’est leur mode de pensée et de raisonnement inductif. Nous autres européens du Sud, nous nous disons si je fais ça, je vais peut être arriver là et on verra ensuite. Les Américains préfèrent dire : Je souhaite parvenir à ce résultat, comment dois-je m’organiser pour y arriver ?
Quelle est la qualité que vous préférez chez les Américains ?
Leur confiance à toute épreuve, sans hésiter.
Et qu’est-ce que vous détestez?
La superficialité et la légèreté avec lesquelles le moindre quidam vous dit immédiatement lorsqu’il vous rencontre : “pleased to meet you” ou pire “so glad to see you again”…
Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans ?
Je pense sincèrement à un monde occidental très solidaire et très similaire, du Canada à l’Europe de l’est, avec une monnaie unique et une langue unique aussi ? Qui sait, A quoi sert de se compliquer la vie si un Euro finit par valoir un Dollar ? A quoi sert de parler Français, Croate ou Polonais si tout le monde parle l’Anglais et l’Espagnol ? Je vois le monde aller vers plus de simplicité et une communication plus pratique. Je vois les Etats-Unis devenir Les Etats-Unis d’AMERIQUE, par opposition (ou par symétrie avec) aux Etats-Unis d’EUROPE.
Quelle est votre ville américaine preférée? Pourquoi?
Sur la Côte Ouest, j’ai toujours adoré Seattle pour son côté “Amérique européanisée” et vieux buildings et l’aspect plus sincère de la population du Nord. Ces gens me paraissent plus authentiques. En Floride, si j’avais pu choisir une ville (et non pas m’installer près de mon fils, ça aurait été St-Petersburg. Une très jolie ville, entre la mer et les espaces verts.
Quel est votre plat américain préferé?
Sans hésiter les Breakfast à l’américaine avec du bacon, des pommes de terre croustillantes et des pancakes au sirop d’érable qu’on peut trouver chez Denny’s, par exemple.
Quel est votre loisir préféré?
Le soccer*. J’entraîne d’ailleurs une équipe de jeunes à Miami Beach… Comme il y a beaucoup de sud-américains en Floride, c’est un véritable paradis pour le soccer.
* C’est en fait le football que l’on connaît en France (ce qu’on appelle football là-bas est le football américain…)
Quelle est votre devise ?
“Les bonnes idées valent cher mais ceux qui les font fonctionner n’ont pas de prix.” Henry Ford
Quel est votre plus grand regret ?
D’être incapable de m’arrêter de fumer alors que j’évolue dans un pays qui fait la guerre aux fumeurs…
Quelle est votre plus grande fierté ?
Sans aucun doute sur le plan professionnel, les deux ouvrages consacrés au marketing internet que j’ai fait paraître chez Pearson Mc Millan ces deux dernières années : “Stratégies des sites qui rapportent” et “Netéconomie : réussir online”. Ils ont très bien marché en plus :-))
Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US ?
Si je rentre à Paris, mon fils, la plage et le soleil sans nul doute. Autrement, pas grand chose.
Après les attentats du 11 septembre, comment envisagez-vous l’avenir? Cela va t-il changer la mentalité, les valeurs et convictions des Américains à votre avis ?
Les Etats-Unis et la population américaine dans son ensemble ont été ébranlés, au même titre d’ailleurs que toutes les sociétés occidentales. Un événement aussi tragique, sur le sol américain, n’était pas prévisible, ni même envisageable… Désormais, il y a un précédent. Je pense que la société américaine a compris que personne, pas même la plus grande puissance du monde, n’est à l’abri des agissements de quelques illuminés. De fait, le sentiment de domination et le complexe de supériorité des Américains risque de s’atténuer avec le temps. Finalement, nous faisons tous partie du même monde fragile.