Jean-Jacques Gabanelle est boulanger dans le village de Cohasset dans le Massachussets. On se déplace de loin pour lui acheter du pain, des gâteaux. Arrivé il y a près de 20 ans avec une valise en Floride, il dirige aujourd’hui sa boulangerie avec plus de 15 employés… Il nous donne des informations précieuses et bien concrètes pour tous ceux qui souhaitent travailler dans LA spécialité reconnue des Français aux USA.
Comment êtes-vous arrivé aux Etats-Unis ?
A 17,5 ans, je suis parti dans la marine où j’y suis resté pendant 9 ans. J’ai fait 2 fois le tour du monde. On s’est arrêté en Californie et ça m’a plu. Je me suis demandé ce que je devais faire pour aller y vivre. En 1982-83, on cherchait des boulangers aux Etats-Unis. J’ai donc décidé de suivre en France une formation de 9 mois de boulanger à l’institut Ferrandi. En 1985, j’ai vu une annonce par la chambre des métiers pour un boulanger en Floride et je suis parti. En arrivant, il s’est trouvé que le poste n’était plus à pourvoir. J’ai fait pendant 6 mois des petits métiers comme électricien, couvreur, peintre..etc. Je suis rentré en France me marier.
Vous avez tenté une deuxième fois votre chance aux Etats-Unis ?
Je suis retourné aux Etats-Unis avec ma femme et un visa J1 pour 18 mois pour être boulanger dans une boulangerie à Orlando qui travaillait pour Disney et d’autres grands parcs d’attraction. J’avais alors un visa d’exchange student et j’ai travaillé ensuite de manière illégale avant de régulariser mes papiers en 1989-1991 pour obtenir ma carte verte.
Vos débuts n’ont pas été très faciles?
Je travaillais la nuit pour faire le pain pour les grands hôtels. Je commençais à 8h00 du soir jusqu’au matin 7h30. J’ai fait cela pendant près de 3 ans en étant payé 470$ par semaine.
Pourquoi avez-vous quitté la Floride pour vous installer à Boston ?
En Floride, cela ne paye pas. Il y a beaucoup de seniors. Il faut vendre pas cher et donc faire un croissant de mauvaise qualité. Ce n’était pas ce que nous avions envie de faire. Nous avons cherché une ville plus importante et riche. On a trouvé une boulangerie à reprendre. Son propriétaire nous a choisi car nous étions français. Pour une boulangerie, c’était mieux…Nous n’avions pas d’apport initial à faire, simplement racheter quelques équipements et refaire marcher la boulangerie fermée depuis 6 mois contre 2000$ par mois pendant 8 ans.
Vous avez ensuite créé votre propre business ?
A 15 miles de cette boulangerie, j’ai ouvert une autre boulangerie avec un autre partenaire. Depuis 1995, j’en suis propriétaire à 100%.
En quelques chiffres, quel est aujourd’hui le résultat de votre aventure?
Je réalise un chiffre d’affaires de $650.000 par an avec des produits que nous fabriquons nous-mêmes sans pré-fabriqués. Une boulangerie américaine tourne autour de $250.000/300.000.
J’emploie 17 personnes dans une boulangerie qui fait aussi café (10 tables sur 2500 square feet, environ 230m2).
Votre boulangerie est installée dans un petit village, Cohasset, comment expliquez-vous cette réussite aux Etats-Unis où les boulangeries sont rares ?
Cohasset est un village de 7000 personnes. En France, vous avez 1 boulangerie à chaque coin de rue, ici vous en avez une toutes les 20 villes. Ici, à part à Boston qui compte 2-3 boulangeries, il n’y a rien. Les gens font des kilomètres pour nous acheter du pain, de la croissanterie ou des gâteaux.
Qu’offrez vous comme produits à vos clients ?
Nous offrons 15 sortes de pain : baguette, pain au fromage, aux céréales, au lard, au chocolat blanc, aux oignons, aux épinards…etc. Je vends une trentaine de baguettes par jour. J’ai un collègue boulanger en France à Paris sur les Champs-Elysées qui vend 400 à 600 baguettes par jour…
De la croissanterie avec une quinzaine de sortes différentes (framboise, blueberry, citron, pommes cannelle, cranberries, noix, miel/pecan, donuts…etc.). En France on en fait 6-7.
Une quinzaine de sortes de cookies, une douzaine de clafoutis, une cinquantaine de variétés de sandwichs pour le midi, des gâteaux….etc.
La galette des Rois a t-elle du succès auprès des Américains ?…
Quand j’ai commencé il y a 7-8 ans, j’en ai vendu 3. Il faut les « éduquer ». On leur a expliqué ce que représentait la galette, ils ont goûté et chaque année j’en vends plus. Aujourd’hui environ 110. Mon collègue en France en vend plus de 400… !
Comment vous êtes-vous fait connaître?
Au début les gens voulaient acheter des “donuts” et des “bagles”. On leur a donné en plus des croissants. Ils y ont goûté et ils ont aimé. Cela s’est fait ensuite par le bouche-à-oreille. Aujourd’hui, des gens conduisent parfois jusqu’à 1h30 pour venir acheter des gâteaux. J’en envoie aussi au Michigan ou en Floride.
Quelles difficultés avez-vous rencontré?
Je n’en ai pas trouvé. Je vois toujours la vie du bon côté. Dans tout ce qu’on a entrepris depuis notre arrivée, on a réussi. On a eu de la chance.
Avez-vous ressenti un sentiment anti-français à la suite des dissensions politiques entre les Etats-Unis et la France en 2003?
Nous sommes sur la côte qui est plus proche de l’Europe. La mentalité et la perception des gens est différente de celles à l’intérieur du pays. J’ai eu un cas où un client qui venait régulièrement m’acheter du pain de campagne ou “French Bread” m’a demandé du “Liberty Bread”… Sinon, nous avons connu plus de gens qui venaient nous soutenir qu’autre chose.
Vous avez créé une vraie dynamique de développement dans votre village?
Quand on a ouvert la boutique, il n’y avait aucune activité. Aujourd’hui, il y a 3 restaurants, une boucherie, un hôtel, 12 petites entreprises…! Les gens reconnaissent ceux qui bossent et qui y arrivent et ils sont contents de nous voir travailler.
Qu’appréciez-vous dans la gestion de votre business aux Etats-Unis?
Pour comparer à nouveau avec mon collègue installé en France: Il travaille 7 jours sur 7, 15 à 16h par jour. Pour moi, je travaille maintenant 4 jours par semaine, j’ouvre la boutique à 6h00 pour faire ma cuisson et vers midi, j’ai fini. Je n’ai pas toujours eu ce rythme de travail. Je paye 11% en charges sociales alors que mon collègue en France paie 60-65% de charges sociales. Il a mis 6 mois pour se débarrasser d’une personne. Ici, si un employé fait une connerie, il arrive le matin à 8h00 et à 8h05, il s’en va et fin de l’histoire! Les gens sont habitués, ils savent qu’ils mangent s’ils travaillent…!
Comment voyez-vous les Américains?
Ils sont gentils, ce sont de grands enfants. Il y a aussi des cons et des barjots comme partout! Il y a beaucoup d’ignorants. Quand on a ouvert notre boutique à Boston, les gens savaient ce qu’était un croissant car on est sur la côte est, plus proche de l’Europe. Au centre des Etats-Unis, ce n’est pas la même chose.
Qu’est-ce que vous détestez?
On a une très mauvaise information politique. S’il y a 30% d’informations vraies dans les journaux, c’est déjà beaucoup. Les gens ici croient ce qu’ils lisent dans les journaux.
Qu’est ce qui vous manquerait si vous deviez rentrer en France?
Je devrais déjà rentrer avec 2 semi-remorques même si je suis arrivé avec une valise dans ce pays! Le style de vie me manquerait. Ici, je ne suis pas stressé, je ne suis pas obligé de courir. En France, on se bouscule pour être le premier à la caisse, on n’arrête pas, on cherche la place de parking la plus près de l’entrée…
Quels conseils donneriez-vous aux Européens qui s’installent?
Ne pas acheter un business qui existe déjà mais le créer. Par exemple, pour la boulangerie, il vaut mieux monter le business en investissant un minimum sur le matériel qu’on peut acheter dans des salles des ventes plutôt que de racheter une boulangerie installée.
Il faut avoir un peu d’argent au départ (60.000$-70.000$), trouver un bon emplacement et bosser.
Il faut être gentil avec les gens. Si vous êtes gentil avec votre personnel, ils seront heureux et ils resteront. Les Français ont une mentalité un peu sectaire dans ce domaine.